Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

dimanche 21 avril 2013

Hammer Of The Gods, de Stephen Davis


Auteur : Stephen Davis
Traducteur : Philippe Paringaux
Éditeur : Le Mot et le Reste

Je suis de la génération qui a tué le Rock, celle qui de Cure à DJ Shadow en passant par NTM et Wu tang Clan a ringardisé les guitar-heroes. La première fois que j'ai entendu Led Zeppelin, c'était pour le concert de Live Aid. J'avais dix ans et je voyais à la télévision ce que les années quatre-vingt faisaient de pire. J'ai cru pendant des années que Stairway to Heaven était une chanson niaise et que Robert Plant avait toujours sautillé avec une nuque longue, un tambourin à la main, et une chemise en soie bleu. La batterie floue de Phil Collins, le solo raté qui semblait pourtant mettre la foule en délire, pour moi, Led Zeppelin relevait de l'escroquerie. Le rock à guitare pour ma génération ce serait Nirvana, ce serait Rage Against The Machine, qui me semblerait sortir de nulle part. Pour comprendre qu'avant d'être caritatif, Led Zeppelin avait été charismatique, il m'aurait fallu une machine à remonter le temps. En 1993, pourtant j'avais acheté, pour l'objet, un vinyle bizarre des albums IV et V, trouvé dans les bacs du disquaire d'état de feu l'Union Soviétique. Led Zepppelin était inscrit en lettres cyrilliques et les titres des chansons étaient traduits pour le marché russe. Black Dog, jusqu'à la fin des temps, s'appellera pour moi Tchiornaia Sabaka. J'avais alors compris. Stairway to Heaven n'était pas qu'une ritournelle romantique, que des adolescent boutonneux jouaient, toujours mal, pour draguer des filles de l'âge de Lori Maddox à la grande époque. J'avais compris mais je n'avais rien senti. Pour palper l'hystérie que provoquait le dirigeable plombé, il m'aurait fallu une machine à remonter le temps. Stephen Davis nous la fournit, en se servant du marteau des dieux pour nous ramener de force à cette époque où le rock était Epic ou Atlantic, à cette époque où le rock se nourrissait de l'énergie profonde d'un changement radical de la société.
Le livre de Davis est un monument et il faudrait plus d'une émission pour parler de la carrière du Zeppelin, mais je voudrais mettre en lumière ce qui était resté dans l'ombre, au moins pour moi, avant la lecture de Hammer of the gods.
Et c'est d'abord tout ce qui se passe avant Led Zeppelin qui m'était étranger. L'ambiance de fanatisme blues qui agitait Londres dans les années soixante. Comment Jeff Beck, Clapton, Jimmy Page émergent de ce même magma comme d'une brume du delta, comment ils se respectent, se défient. Jimmy Page, et sa vie de guitariste studio, qui lui apprend dans le même temps son art et le sens du business. Le sens du fric, même, et un certain cynisme qui lui permettra de mener une OPA sur les Yardbirds, cadavre qui donnera naissance à Led Zeppelin. Ce contraste entre les londoniens Page et Jones, professionnels, presque cérébraux, et Bonham et Plant, plus naïfs, plus provinciaux circule à travers tout le livre. Le courant ne cessera de passer entre ces deux pôles, modifiant sans cesse l'équilibre précaire entre le romantisme bon enfant et les dérives autodestructrices, entre la recherche mélodique et les saccages de chambre d'hôtel, entre l'intégrité artistique poussée à son maximum, on pense aux pochettes d'albums ou aux relations avec la presse, et un lamentable exil fiscal qui signera le début du pétage de plomb. Mais ce courant sera tellement fort qu'il est trop faible de dire qu'il électrisait son public : il l'électrifiait comme une décharge létale, qui laissait les salles, les équipes de roadies, les managers cramés comme des fusibles sans disjoncteur.
C'est l'autre merveille du livre de nous offrir les portraits de Richard Cole et de Peter Grant. On ne mesure pas l'importance qu'a eu ce dernier sur le fonctionnement de l'industrie musicale. On a du mal à imaginer aujourd'hui qu'un ancien ouvrier métallurgiste  ancien videur de boîte de nuit, ancien catcheur, ancien cascadeur puisse devenir le manager le plus influent de toute la scène rock, mais à l'époque où le livre de Davis nous transporte, ce genre de choses était possibles. D'ailleurs tout semble possible, à cette époque. Le meilleur comme le pire. Le sida n'existe pas, la prospérité économique et la drogue se développent main dans la main, et on on ne mesure encore la nocivité ni de l'une, ni de l'autre. Mais tous ces excès ont encore un goût de première fois. Un goût de révolution.
Bien-sûr, le livre de Stephen Davis pousse parfois l'indulgence un peu loin. Bien-sûr, il y a un côté enfant-gâté insupportable chez ces types qui passent leur temps à baiser des groupies en disant que leurs femmes leur manquent. Bien sûr l'attirance morbide pour l'occultisme grotesque d'Alister Crowley nous parait aujourd'hui plus ringard qu'inquiétant. Bien-sûr, la rage d'amasser des monceaux de dollars quitte à se priver dans l'exil de leurs familles respectives nous fait plus penser à Johnny Halliday qu'a l'énigmatique Robert Johnson, influence Blues revendiquée par tous les passagers du Zeppelin.
Mais on ne peut s'empêcher de penser que la mort de John Bonham ne signe pas seulement la fin de Led Zeppelin, mais la fin d'une époque. L'entrée dans les années 80, c'est le début de rien et la fin d'une époque. Lorsqu'en 1992, adolescent, je découvre le titre Wake Up, de Rage Against The Machine, après des années à me guérir de la new wave avec l'émergence du rap ou de la techno, ça me semble sortir de nulle part. Mais il faut écouter l'une après l'autre l'intro de wake up et celle de Kashemir sur Physical Graffiti pour comprendre que Led Zeppelin n'a jamais cessé d'influencer le rock, et que l'esprit de sédition et d'excès sincère qu'il véhiculait peut s'éclipser mais qu'il ne disparaît pas. Jamais.  


PS : L'audio de cette chronique ne peut pas être mis en ligne car les (courts) extraits de son que j'y propose sont sous copyright... [EDIT] : Vous pouvez écouter la chronique à cette adressehttp://www.divshare.com/download/24026457-ef8


TL ; DR : L'épopée de Led Zeppelin. Foisonnant, passionnant, nécessaire. 

1 commentaire:

  1. Texte très intéressant, pour mieux comprendre comment un "gain" des années '80 et '90 a réussi à venir jusqu'à Led Zeppelin.

    J'échange votre chronique contre celle d'un "gamin" des années '70 et '80 :

    http://lespenseesdepascal.blogspot.fr/2014/12/hammer-of-gods.html

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