Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mercredi 29 mai 2013

Le Harcèlement Moral, de Marie-France Hirigoyen, Chez Pocket.




Ceux qui me connaissent un peu savent que le livre que j'écris depuis deux ans ne parle presque que de ça. Mais c'est un roman. Alors que le livre de Marie France Hirigoyen, Le harcèlement moral, disponible aux éditions Pocket, est un mode d'emploi.

Le sous-titre explique ce à quoi le livre veut vous faire échapper : la violence perverse au quotidien. C'est d’ailleurs un présupposé fort et discutable du livre ; le harcèlement moral serait toujours l'œuvre d'un pervers narcissique. Même si cela correspond en partie à l'expérience que j'ai pu vivre, il me semble que c'est réducteur.

En revanche, dans ce cadre là, le livre couvre l'ensemble du sujet. Il décrit la violence perverse au quotidien, la relation perverse et ceux qui la vivent, harceleur et harcelé, les conséquences qu'elle a sur la victime, les façons d'y remédier et les perspectives de guérison. Dans chacune des parties, Marie France Hirigoyen distingue la situation de violence privée, principalement dans le cadre de la relation de couple, et la violence en entreprise.

Il est salutaire de lire ce livre si on se sent en situation de Harcèlement. D'abord parce qu'il permet de prendre conscience qu'il s'agit bien d'une agression, tant le harcèlement moral est une violence lente et insidieuse. De façon plus surprenante, le livre aide aussi à comprendre le psychisme du harcelé. Non, il ne s'agit pas d'un masochiste complice de son agresseur, mais souvent d'une personnalité scrupuleuse, désireuse de bien faire, et dont les failles narcissiques représentent des leviers pour celui qui cherche à soumettre, humilier, anéantir.

En retrouvant une légitimité, on peut entamer la démarche de lutte puis de guérison. Bien-sûr ce livre ne remplace pas l'accompagnement que peuvent apporter, selon les situations, une assistante sociale, un médecin du travail, ni évidemment un psychologue, mais il permet la prise de conscience, la sortie du déni, qui est la première étape de toute renaissance.

On peut regretter que la description que Marie-France Hirigoyen fait du pervers narcissique soit parfois plus morale que clinique. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'elle approfondisse le processus qui mène le pervers à ce mode de fonctionnement, qu'elle donne aussi des pistes pour sa guérison à lui. Tout simplement parce que lorsqu'on a vécu dans l'ombre d'une relation perverse, à cause de l'inexorable force de l'exemple, on apprend à se comporter de la même façon et qu'on passe sa vie à tenter de se défaire de ce manque d'empathie qui déteint, qui colle à la peau comme un sparadrap radioactif.

Mais peut-être que l'auteur a fait ce choix pour des questions d'efficacité. En se concentrant sur le salut de la victime, elle produit un livre concis, moins de 300 pages, très facile à lire et donc accessible à tous ceux qui peuvent en avoir besoin.

Si vous vous sentez concerné, ne vous privez pas de l'aide du livre Le Harcèlement Moral, La violence perverse au quotidien, de Marie-France Hirigoyen,  disponible chez Pocket. pour seulement 5,70 €.

TL ; DR : une description du harcèlement moral et du pervers narcissique qui l'exerce. Intéressant pour les victimes, mais pas de pistes pour aider les bourreaux à se guérir. Un must pour s'en sortir (je sais de quoi je parle). 

dimanche 26 mai 2013

Piège Nuptial / Cul-de-sac de Douglas Kennedy


Ce que j'ai pensé de Piège Nuptial de Douglas Kennedy, aux éditions Pocket.

Il existe plusieurs traductions de ce livre de Douglas Kennedy. J'ai d'abord lu celle de Catherine Cheval, paru chez Folio Policier sous le titre Cul-De-Sac. Mais on trouve depuis 2008 une nouvelle traduction de Bernard Cohen, sous le titre Piège Nuptial. Je ne sais pas laquelle des deux est la plus fidèle, mais la version de Bernard Cohen atténue un peu le malaise que j'ai souvent en lisant des polards ou des séries noires : il me semble que les personnages s'expriment dans une langue qui n'existe pas, avec une truculence qui se veut populaire mais que je n'ai jamais entendue dans aucun bar de la planète (oui, je les ai tous visités sans aucune exception).

Une fois qu'on accepte ce parti-pris, Piège nuptial est le parfait petit livre de divertissement, celui qui délasse après une journée de travail, celui qu'on peut lire même en étant crevé ou malade. Un journaliste Américain échoue au nord de l'Australie qu'il veut traverser dans un combi Volkswagen antédiluvien. Et son périple commence bien puisqu'il prend en stop une hippie locale, ni finaude ni distinguée, mais pas avare de son corps un peu trop charpenté.

Le titre du livre révèle déjà que le rêve tourne au cauchemar assez rapidement lorsque le couple se retrouve dans une communauté de beatniks totalitaires (si, vraiment) perdus au milieu de nulle part. Le titre original, Dead Heart, repose d'ailleurs sur un jeu de mot avec Red Heart qui désigne ce cœur ardent de l'Australie, où la civilisation n'a jamais vraiment réussi à s'implanter. Plus le livre s'enfonce dans la tension dramatique, plus Douglas Kennedy atténue le caractère potache potache et forcé de son écriture. On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que le début sonne aussi vrai, même si cette impression est peut-être due à la première traduction maladroite. 

Le roman est sans surprise mais pas sans suspens, et si on tremble malgré le scénario un peu attendu, c'est parce qu'on s'attache aux personnages, même aux pires. Ils sont touchants, et malgré la bière, la baise, la bêtise et la violence on ne peut s'empêcher de comprendre que leur monstruosité n'est que le résultat de leur incapacité à se débattre dans le monde cruel qui est le leur. Le nôtre ?

Piège nuptial, de Douglas Kennedy, traduction de Bernard Cohen, disponible en Pocket à 6,70 €.

jeudi 23 mai 2013

En route pour la gloire !

Ça y est, ma première chronique pour l'équipe des Poches sous les Yeux.

Avec l'habillage sonore et diffusion sur leur site : je suis très fier. Et aussi super content parce que c'est une équipe vraiment sympa.

Pour la musique que vous pouvez entendre derrière, il s'agit d'un son de Toomux, que vous pouvez écouter, télécharger et même acheter là.

Mais je ne suis pas (que) là pour faire de la publicité pour les potes. Je fais aussi de la pub pour les livres qu'on chronique : Tanguy Viel, Paris Brest, est disponible à 14,20 € aux éditions de minuit.

dimanche 19 mai 2013

Paris-Brest, de Tanguy Viel aux éditions de Minuit et entrée dans le cercle des poches sous les yeux, avec Radio Béton, à Tours.


MIRACLE ! L'équipe de des poches sous les yeux a accepté ma chronique. Non seulement leurs chroniques sont super éclectiques, mais les gens qui s'en occupent sont adorables. Je vous ferai signe quand Cette chronique sera sur leur site.

Paris-Brest, de Tanguy Viel, aux éditions de Minuit.

Tanguy Viel est un menteur hors-pair. Même le titre de son roman, Paris-Brest, paru aux éditions de Minuit est une supercherie. De Paris il ne sera presque jamais question, sinon comme d'un ailleurs où le narrateur se retranche lorsqu'il n'est pas dans le livre. L'auteur mêle sans aucun scrupule des éléments de son enfance brestoise à une intrigue où l'intime et le policier se relaient pour nous tenir en haleine. On pourrait reprocher aux personnages d'être trop tranchés, mais la façon de ne pas les qualifier, de se contenter de montrer comment ils se comportent suffit à leur donner de la crédibilité, de l'épaisseur.

On est presque surpris que leurs émotions nous contaminent, comme par contagion. On ressent avec aversion les rapports de force qui permettent à l'un d'entraîner l'autre sur les chemins qu'il vaut mieux éviter, du vol de bonbons à... Non, on ne peut dévoiler l'intrigue dont la surprise et les mises en abyme sont des ressorts efficaces.

Tanguy Viel évite par sa maîtrise de la construction les deux écueils fréquents de la littérature française : l'autobiographie nombriliste, qui ne profite qu'à celui qui l'écrit, et la construction élégante, mais qui ne nous touche pas parce qu'on y sent pas le réel dans ce qu'il a de poisseux et d'inexorable.

Il y a dans ce roman assez d'action pour qu'on ne s'ennuie jamais et assez de névrose familiale pour qu'on ait envie d'y croire. Même si on sait que Tanguy Viel est un menteur Hors Pair. Parce qu'il ne parle finalement pas non plus beaucoup de Brest, même s'il ouvre le livre par ces phrases :

« Il paraît, après la guerre, tandis que Brest était en ruines, qu'un architecte audacieux proposa, tant qu'à reconstruire, que tous les habitants puissent voir la mer : on aurait construit la ville en hémicycle, augmenté la hauteur des immeubles, avancé la ville au rebord de ses plages. En quelque sorte, on aurait tout réinventé. On aurait tout réinventé, oui, s'il n'y avait pas eu quelques riches grincheux voulant récupérer leur bien, ou non pas leur bien puisque la ville était en cendres, mais l'emplacement de leurs biens. »

Par la suite, Brest est comme absente du livre, ou plutôt elle est une toile de fond, comme un décor de théâtre provincial où se jouerait un drame pourtant universel. Cette ampleur est parfois freinée par la volonté de Viel de camoufler le mensonge par une vraisemblance forcée. On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, qu'il évite à son narrateur les embardées vers une oralité factice, avec l'usage du disons, du donc en début de phrase, ou pire des adresses au lecteur. Et qu'il nous donne à la place une description du cercle des marins qui fasse sentir le quasi stalinisme de l'architecture du centre de Brest. La sienne pourrait avoir été faite par n'importe qui. Ou presque, car si Tanguy Viel nous ment, il le fait avec tellement d'élégance, qu'on prend un plaisir immense à faire semblant de le croire.

Vous pouvez écouter cette chronique ici sur Radio Béton dans la rubrique Des poches sous les yeux. 

BONUS : 
La bande son de cette chronique a été produite par Tomukx. Vous pouvez écouter quelques musiques de ce producteur francilien qui a mangé du Cure et du batcave au petit déjeuner et sans doute pas mal de Wax Taylor au dîner. C'est à l'adresse suivante :  http://tomuks.bandcamp.com

vendredi 17 mai 2013

Au boulot !


Et voilà ! C'est tellement dément de recevoir des livres à la maison. Je suppose que les vrais chroniqueurs sont blasés, sinon lassés de ces caisses de livres. Moi, je suis toujours comme un enfant à qui on vient de livrer son poids en bonbons. Mais vu mon poids, mieux vaut des livres. En recevant tous ces livres, je comprends aussi pourquoi on trouve plus de chroniques favorables que défavorables. Les chroniqueurs qui commencent à avoir de l'influence doivent recevoir chaque jour ce que j'ai reçu exceptionnellement. Ils peuvent donc choisir. Ils DOIVENT donc CHOISIR. Si au bout de quelques lignes / pages, ils se disent que ce n'est pas leur tasse de thé, ils passent à un autre livre. Ils ne chroniquent donc que ceux qu'ils aiment. C'est tout bénéfice. C'est plus agréable pour eux de ne lire que ce qu'ils aiment, c'est bien plus facile de dire du bien d'un livre que d'en dire du mal, et les auteurs ont surtout de la presse favorable. Tout bénéfice. 

Vraiment ? Et le lecteur ? Si j'étais paranoïaque, je dirais que les maisons d'éditions pourraient très bien faire elles-mêmes des chroniques favorables que rien ne viendrait équilibrer. Je pourrais aussi dire que les chroniqueurs ne veulent pas se brouiller avec les maisons d'éditions, donc plutôt que de ne rien faire, ils feront des chroniques rapides et favorables et continueront à recevoir des livres de la maison concernée en espérant que la livraison suivante soit meilleure. Si j'étais paranoïaque et de mauvais esprit, je dirai aussi que certains chroniqueurs peu scrupuleux pourraient écrire des chroniques à partir du communiqué de presse que certaines maisons d'éditions fournissent. Cela permettrait de faire du volume sur leur média (site, blog, voire médias traditionnels). Mais dans le fond, je crois réellement que la principale raison c'est le choix, le surchoix. Pour faire un parallèle économique, on imagine mal un employeur se contenter d'un type qui n'a pas le CV parfait alors qu'en temps de crise il y a tant de CV parfaits qui frappent à la porte. Mais quand on lit en profondeur y a-t-il vraiment des CV parfaits ? Des livres parfaits ? 

Du coup, il faudrait quand même que certains se coltinent les livres pour dire ce qu'ils n'en aiment pas. Je ne crois pas qu'un chroniqueur qui aime vraiment la littérature se montre jamais agressif ou insultant à propos d'un livre qu'il n'apprécie pas. Ma chronique de 14 de Jean Echenoz est plutôt défavorable, mais je n'ai pas l'impression de sous-estimer le travail ou l'intégrité de l'auteur, j'exprime plutôt l'inadéquation entre son projet littéraire et ce que j'en ai reçu. Mais maintenant que je me rends compte du choix que peut avoir un chroniqueur, la paranoïa fait place à un sentiment d'impuissance : on n'a jamais le temps de tout lire. Du coup, comme tout le monde, je vais finir par comprendre que lire des livres qu'on n'aime pas, pour désagréable que ce soit, est un luxe réservé à ceux qu'on paye pour cela, comme les chroniqueurs du Masque et la plume ou de La Dispute.

Je vais donc être obligé de faire surtout des chroniques gentilles, ça me fera les pieds !



jeudi 16 mai 2013

Léviathan : la trilogie de Lionel Davoust aux éditions Don Quichotte


Ce que j'ai pensé de Léviathan, la trilogie de Lionel Davoust publiée par les éditions Don Quichotte.

À chaque fois qu'une femme m'a laissé tomber, j'ai eu le droit à une lettre dithyrambique : « tu es un type fantastique, tu as plein de qualités, mais je te quitte, n'essaie pas de me recontacter. » Je les recontactais à chaque fois et j'avais alors droit à l'interminable liste de mes défauts. On se doute donc que cette chronique se terminera mal puisqu'elle va commencer par l'énoncé des qualités de Lionel Davoust, l'auteur de la trilogie Léviathan aux éditions Don Quichotte.

Lionel Davoust est un bâtisseur d'histoires. Comme une véritable cathédrale sa trilogie s'élève selon un plan sacré : la trajectoire de chaque personnage s'appuie sur celle de tous les autres, comme autant de contreforts qui permettent à l'édifice de s'élever, équilibre élégant, complexe mais clair, et qui laisse pénétrer la lumière exactement là où l'architecte le souhaite. Chaque façade est un trompe-l'œil, chaque personnage présente plusieurs identités qui nous sont dévoilées au fil de l'histoire de Michael Petersen, un type ordinaire dont la vie bascule aux frontières de la réalité. Contrairement à la majorité des enseignement ésotériques, celui-ci se fait par le divertissement. Les livres de Lionel Davoust sont ce que les libraires appellent des « page-turners ». Le lecteur est maintenu dans une dépendance quasi toxicologique qui lui donne envie d'avancer dans l'histoire, page après page.

Mais comme avec toute drogue, on risque l'overdose. À force de s'appuyer sur la structure du récit, Lionel Davoust livre des personnages archétypaux. Il ne les sauve que par une naïveté qui touche à l'essentiel des motivations humaines. Mais cette naïveté se retrouve dans la langue de façon plus préjudiciable. Pourtant, il arrive que les effets de rupture entre une écriture outrageusement lyrique et des répliques familièrement cinglantes fonctionne aussi bien que dans un dialogue de Tarantino. Et les scènes d'action sont souvent brillantes, très visuelles, formant dans l'esprit du lecteur des images que ne renieraient pas les frères Washowski.

Hélas, lorsqu'il décrit ses personnages, ses paysages, l'auteur a recourt à des phrases plus stéréotypées. Mais le malaise provient plutôt des velléités philosophiques de l'ouvrage. L'auteur s'efforce de nous faire croire qu'il y a des mondes derrière le monde, il surcharge l'intrigue de références, pas toujours très bien digérées à Castanéda, Young, au chamanisme ou à la physique quantique, l'habituel mélange de la sub-culture pop et conspirationniste. Il crée un jargon spécifique, il invente des réalités parallèles, des images pieuses, des armes rituelles, bref, il utilise les recettes de toutes les religions qui veulent nous faire passer les vieux espoirs d'une réalité cachée et glorieuse pour des révélations nouvelles.

Mais quelle différence au fond avec la suspension d'incrédulité que réclame toute œuvre de fiction ? Pas grand-chose. Sinon que les grandes fictions romanesques nous aident à voir le monde tel qu'il est. 1984 d'Orwell est l'exemple typique d'une fiction extrême qui nous aide à comprendre ce que notre réalité s'apprête à devenir. La fiction chez Lionel Davoust est plus mystique, et elle apporte non la compréhension du monde qui nous entoure, mais l'espoir d'un pouvoir qui permette de le dominer, un pouvoir accessible à tous pourvu qu'ils acceptent de croire, et un pouvoir pas totalement illusoire puisqu'il permet à l'auteur d'écrire, de publier et de trouver ses lecteurs par la seule force de sa détermination. Pourtant, on aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, que Lionel Davoust fasse plus de place à la langue, qu'elle soit plus littéraire qu'incantatoire que la beauté ne soit pas seulement dans la construction, le plan, l'histoire, mais aussi dans la pierre, le matériau, c'est à dire dans chaque phrase, chaque mot.

Parce qu'il est un enseignement sur lequel nous pouvons tomber d'accord, lui, le créateur, le démiurge, le mystique et moi, le critique rationnaliste, un enseignement qui réunit celles qui m'écrivent des lettres de rupture comme ceux qui continuent à croire que le livre est l'alpha et l'oméga de l'humanité, un enseignement qui marque l'avènement de notre civilisation et la fin de cette chronique : au commencement était le verbe.

Version audio disponible ici.

TL ; DR : Un thriller ésotérique en 3 volumes. Bien construit pour ceux qui aime le genre. Je ne suis pas très épées rituelles et force obscure de la main gauche. 

dimanche 5 mai 2013

Indignation, de Philip Roth

Je tente de démarcher une autre radio de FERAROCK - Fédération des Radios Associatives Musiques Actuelles, à savoir Radio Béton, une radio de Tours qui a une très belle rubrique dédiée aux livres de poche, opportunément appelée Des poches sous les yeux. 

C'est plus cadré que ce que je fais pour Canal B, aussi je leur ai fait la proposition suivante, pour le livre Indignation, de Philip Roth. Souhaitez moi bonne chance !

[EDIT] : Ce poche là avait déjà été chroniqué chez Des poches sous les yeux.  Mais la chronique leur a plu, donc je fais d'autres tentatives !




Il faudrait écrire son autobiographie avant de savoir qu'elle vaut le coup d'être écrite. Après, c'est trop tard, on est vieux, les souvenirs sont loin et il vaut mieux écrire des romans. Pourtant, quand Philip Roth raconte, dans Indignation paru chez Folio, l'entrée à l'université du fils d'un boucher juif du New Jersey, chacune de ses phrases distille avec une cruelle vraisemblance la réalité plombée de l'Amérique des années cinquante. La guerre de Corée fait planer la menace d'une mobilisation, et le père de Marcus Messner en devient fou de peur. Le jeune étudiant décide de fuir la paranoïa familiale, change d'université, et les ressorts de la tragédie se mettent en place.

Philip Roth parvient à lier le destin d'une nation et la souffrance ordinaire de la sortie de l'adolescence, ce moment charnière où la découverte du désir sexuel peut broyer les plus fragiles, les faire se broyer entre eux, parce que comme sa mère le rappelle au narrateur : les gens faibles ne sont pas inoffensifs.

Dès les premières pages les phrases longues et entrecoupées happent le lecteur et le précipitent dans une plongée en apnée qui ne se termine qu'à la fin du roman...

Extrait.

« Je travaille pour gagner de l'argent », m'avait dit mon père, « depuis l'âge de dix ans. » C'était un boucher de quartier pour qui j'avais fait les livraisons à bicyclette durant toute ma scolarité, sauf pendant la saison de base-ball et les après-midi où je devais participer aux concours interscolaires en tant que membre de l'équipe des débatteurs. Disons qu'à partir du jour où j'ai quitté la boucherie – j'y avais travaillé pour lui soixante heures par semaine, entre la fin de mes études secondaires, en janvier, et la rentrée universitaire en septembre -, oui, disons qu'à partir du jour où j'ai commencé à suivre mes cours à Robert Treat, mon père a vécu dans la crainte de me voir mourir.

Nous vivons dans la même crainte et il faut toute l'empathie de Philip Roth, soutenue par un style solide mais sensible, pour supporter l'ironie impitoyable de l'Indignation écorchée d'un jeune homme perdu par l'avance qu'il avait sur son temps. Le seul regret qu'on ait lorsqu'on referme ce livre, c'est qu'Indignation appartienne au cycle Némésis, à la fin duquel Philip Roth a décidé de ne plus écrire.


Bon, je ne sais pas s'ils voudront de moi, mais si oui, ça donnerait ça en audio. 

TL ; DR : la vie d'un adolescent américain entre son départ de chez ses parents et son départ pour la guerre de Corée. L'initiation à l'absurdité sociale des universités américaines des années 50. Un style simplement parfait. 

vendredi 3 mai 2013

Vanité de la critique et tempête de boulettes géantes.

Les chroniques diffusées sur Canal B me demandent pas mal de travail, j'essaie de travailler le texte, la diction, et le résultat me vaut parfois des courriels du genre "ça fait un peu "écrivain en devenir" mais en même temps cela tombe bien car c'est ce que tu es !". Premier indice de la vanité d'ouvrir un blog. Mais énorme deuxième alerte, et d'une importance majeure, celle-ci, à la révision de "Tempête de boulettes géantes", le film d'animation co-réalisé par Phil Lord et Chris Miller. Je n'avais vraiment pas aimé le regarder. J'avais trouvé l'histoire à la fois confuse et convenue, et les aspects farfelus m'avaient semblé artificiels, écrits, pensés. Mais un père divorcé, la veille de fin des vacances, laisse à son fils le soin de choisir le dessin animé qui lui plaît. 
- Tempête de boulette géantes !
- T'es sûr, mon fils ? Tu ne veux pas plutôt qu'on regarde Fight Club ? 
- Mais non, papa, on le regarde tous les week-ends, et puis, j'ai cinq ans. 

Donc tempêtes de boulettes de viande. Et j'ai cru voir un autre film. Pourtant, je les avais vues, les grosses ficelles sur la difficulté de communication entre un père dépassé par la technologie et un fils vaguement honteux d'être le fils d'un pêcheur de sardines mal dégrossi.Mais là, ça me semblait justement présenté pour des enfants de cinq ans. Et comment le manque de reconnaissance peut rendre vulnérable au sirène de la gloire au risque d'accepter de devenir quelqu'un qu'on n'est pas. j'avais trouvé ça lourdaud. Mais là, plutôt simple et vrai. 

Alors le doute surgit. Si j'avais pris le temps de poster une critique sur un site de promotion du cinéma, une fois le l'aurais descendu, une fois, je l'aurais conseillé. 

Du coup, quelle valeur peuvent avoir les chroniques "Ce que j'ai pensé de..." ? Si je relisais "Une femme fuyant l'annonce, le trouverais-je minable ? (je l'ai relu, c'est toujours aussi bien).

Rassurons nous ensemble en trois points. 

Le premier, le temps de lecture. Un film, c'est court. Pour peu qu'on ait mangé un cassoulet à la graisse d'oie suivi d'un pudding de Noël, la pluie de boulettes de viandes peut avoir du mal à passer. Le livre est plus long, et c'est finalement lui qui façonne notre humeur durant le temps de la lecture plutôt que l'inverse.

Second point, j'ai menti, il n'y a qu'un point à mon argumentation. 

À part le temps de lecture qui garantit un certain lissage de l'effet de l'humeur sur la critique il y a des raisons de continuer à faire de la critique littéraire. Voyons lesquelles en trois points. 

Premier point, l'argumentation. J'essaie de donner des clefs pour comprendre le mécanisme qui m'a poussé à aimer ou non un livre. Lorsque j'écoute Nelly Kapriélian encenser un livre au Masque et la Plume, je peux être sûr qu'il sera un véritable calvaire pour moi. Mais son argumentation est souvent suffisante pour que je sache que ce qui l'a fait l'aimer me fasse le haïr. 

Deuxième point, la contextualisation. Sainte Beuve pense qu'il est nécessaire de connaître la biographie d'un auteur pour en apprécier l'œuvre. Proust pense au contraire qu'il n'y a de vraie vie que la vie littéraire, et que celle que l'homme est contraint de vivre en dehors du temps béni qu'il passe à écrire ne peut ni sauver ni damner son œuvre qui une fois produite, comme un enfant doit savoir marcher seul, poursuit le chemin qu'elle fait dans nos esprits de façon autonome. Je pense pour ma part que c'est presque la biographie du critique qu'il serait nécessaire de connaître pour pouvoir lire posément sont avis. Et c'est ce que je m'efforce de faire dans "ce que j'ai pensé de", contextualiser ce qui m'a amené à lire un livre, apporter aux auditeurs de Canal B ou aux lecteurs de ce blog les clefs pour déchiffrer mes travers, mes manies, mes aversions indues. 

Troisième point, la loi des grands nombres. Plus la taille d'un échantillon est grande, plus l'estimation est juste. Autrement dit plus nous sommes nombreux à chroniquer des livres, plus l'avis que peut se faire un lecteur potentiel sera juste. 

Parce que c'est une de mes envies quand je chronique des livres : participer à ce que les gens soient contents des livres qu'ils achètent. C'est une question que je ne me posais que rarement quand j'avais des revenus confortables. Je me souviens de l'agacement que m'avait provoqué "Naissance d'un pont" de Maylis de Kerangal. Mais il m'avait suffit d'acheter un premier volume de La Recherche du temps perdu pour me consoler. Aujourd'hui, je compte les sous, je cours après les bouquins, et à la pénibilité de la lecture d'un  livre déplaisant s'ajoute la vive conscience que l'argent dépensé pour ce livre ne le sera pas pour un autre meilleur. 

Quatrième point, l'apprentissage de la lecture. À défaut de m'apprendre à compter, l'exercice de la chronique littéraire m'apprend à lire. Finie, la gloutonnerie. Le gourmand doit se changer en gourmet. Une histoire palpitante ne doit plus m'empêcher de prêter attention à l'écriture, un style hypnotique ne doit plus me faire oublier la construction du livre, l'évolution des personnages, la teneur du propos. Contre toute attente, le lecteur studieux, méticuleux et scrupuleux que je suis devenu ne prend pas moins de plaisir à lire et à écrire que le dilettante autodidacte que j'ai été pendant près de trente ans. Je suis comme un goret qui pensait que manger mieux l'aiderait à maigrir, mais qui se rend compte avec horreur que de manger bien ne lui coupe pas l'appétit. Mon corps jamais rassasié de fatigue regrette que l'instabilité de mon avis sur "Tempête de boulettes de viande" ne m'ait pas fait préférer le sommeil à la lecture d'Indignation, de Philip Roth, dont je proposerai bientôt ici une chronique.