Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mercredi 19 juin 2013

Joseph Anton, une autobiographie, de Salman Rushdie, chez Plon.

Ce que j'ai pensé de Joseph Anton, de Salman Rushdie paru dans la collection Feux croisés, chez Plon.

Je suis étonné qu'on ait si peu parlé de Joseph Anton, l'autobiographie de Salman Rushdie parue cette année chez Plon. C'est peut-être parce que ce genre de livre est le calvaire du chroniqueur. Plus de 700 pages, parfois lourdes, pesantes, parfois même ennuyeuses, mais dont il est impossible de sauter une seule tant ce livre est important, majeur.

Joseph Anton est le pseudonyme que Salman Rushdie se choisit lorsque Khomeyni proclame une fatwa qui va l'obliger à vivre caché pendant presque dix ans. Joseph, pour Conrad et Anton pour Tchekov. Pourtant, l'auteur russe auquel fait penser ce livre est plus lourd, plus poisseux, aussi cynique mais bien moins léger. Comme à la lecture d'un Dostoievski on peine et on se dit : « laisse moi tranquille, moi aussi j'ai des problèmes. » Mais comme à la lecture d'un Dostoievski, on tourne les pages jusque tard dans la nuit. Parce c'est vertigineux, d'un romanesque total et lesté de la véracité du récit.

Les quarante premières années de la vie de Salman Rushdie sont brossées en à peine plus de cent pages. Il nous dévoile à demi-mots la construction de son imaginaire : culture pop britannique et tradition indienne millénaire. On y lit l'auteur des Versets Sataniques se faire appeler India Man par des colocataires enfumés. « La conversation est morte, mec ». La suite passe très vite, le mariage, un enfant, le succès, le divorce.

Et la condamnation à mort.

Non, la fatwa de Khomeny est plus cruelle qu'une simple condamnation à mort. C'est une condamnation à être tué, sans que jamais ne soit précisé qui exécutera la sentence, ni quand, ni où. Une condamnation à être tué peut-être. 
L'horreur révèle la nature des gens et la fatwa se mue en parabole, elle sépare le bon grain de l'ivraie, les lâches des courageux, les hypocrites des amis sincères. C'est le paradoxe de la vie de fuyard de Joseph Anton : reclus la plupart du temps, il ne sort de chez lui que pour aller de soirées mondaines en événements littéraires. Il finit par ne vivre de familiarité domestique qu'avec les policiers chargés de sa protection. Étrangement, l'agaçant name-dropping d'écrivains célèbres nous rapproche de Rushdie qu'on suit comme un ami dans la foule. Il nous rend ainsi proche de lui, sans pour autant se peindre sous un jour sympathique. S'il s'était contenté de nous donner l'illusion de le comprendre, la nostalgie de la dernière page serait supportable, mais son absence de pitié pour le lecteur et son abondance de talent nous inoculent l'illusion de le connaître. Alors on se demande comment il ne devient pas fou quand des gens en tuent d'autre à cause de son livre, un roman. Un roman écrit pour déchiffrer un peu plus l'imaginaire humain, pour défricher un peu plus le territoire toujours vierge de la littérature.

Il faut ces sept cent pages pour montrer l'alternance délétère de périodes de détente et de vociférations, réitérées par les islamistes de Téhéran, du Cachemire ou de Trafalgar Square. Il faut ces sept-cent pages pour laisser se développer, autour, les histoires d'amour, les illusions, et le combat non seulement pour la vie mais pour l'écriture. Car on n'écrit pas, ou mal, ou trop peu sous les projecteurs et la protection policière, sous la pression politique ou sous la paralysie de la peur. Alors, chaque jour, Salman Rushdie tente de se débarrasser de Joseph Anton, et tente d'écrire.


Bien sûr, le livre est parfois long, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le génie littéraire de Salman Rushdie soit toujours aussi apparent que lorsqu'il raconte à quel reniement atroce le mène le piège de son désir d'être aimé. Ce reniement duquel il se relève en écrivant ce livre, est celui auquel notre société succombe, peut-être à force de se contenter de livres faciles qu'on referme dans un soupir de satisfaction : « Ah, j'ai lu un bon livre ». Non, on referme Joseph Anton, l'autobiographie de Salman Rushdie, Paru chez Feux croisés Plon en se disant  : « Putain, je viens de livre un grand livre. »   

 Joseph Anton, de Salman Rushdie paru dans la collection Feux croisés, chez Plon, 24 €.

La chronique audio est disponible ici  (sur un son d'Asian Dub Fondation).

TL ; DR : La biographie de Salman Rushdie, avec un focus particulier sur les longues années de Fatwa. Un livre parfois ardu, mais qu'il faut lire pour se rappeler la complexité, la diversité de l'âme humaine. Des lâches, des héros, des gens normaux. C'est beau. C'est parfois long, mais c'est beau. 

1 commentaire:

  1. J'ai acheté les "Versets sataniques" quand j'étais en Norvège en 1989, mais n'ai jamais pu le lire plus que les quelques premières pages avant de m'installer à Singapour. 27 ans après, je tombe sur "Joseph Anton" et c'était comme si je rencontre un ami de longue date. La lecture est beaucoup plus facile que le premier, mais j'admire le courage et la persévérance de l'auteur, ainsi que son génie.

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