Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 10 mars 2014

La terre fredonne en Si bémol, de Mari Strachan

Dans La terre fredonne en Si bémol, de Mari Strachan disponible chez 10 18, Gwenni, 12 ans, raconte l'histoire d'un pays de Galles écrasé par la misère, elle raconte l'histoire de sa sortie de l'enfance, l'histoire de son enquête sur la mort d'un berger dépressif et violent, l'histoire des secrets de familles qui rongent l'harmonie de son foyer. Gwenni, comme tous ceux pour qui la réalité est trop dure, se raconte aussi ses histoires à elle. Des souvenirs d'envol, de longues promenades aériennes au-dessus de ce village qui est tout son univers. Le livre commence par ses rêveries, ses chamailleries, avec un langage de boîte à musique. 

Marie Strachan ancre son récit dans la réalité à l'aide de détails censés renvoyer à un univers enfantin. Mais elle les répète comme autant de clous de tapissier qui fixent un excès de rembourrage sur une armature mal taillée, capitons répétitifs et voyants. Les pichets Toby, ces carafes émaillées en forme de gros anglais cramoisi reviennent sans cesse surligner les émotions de la petite fille. Comme les tâches sur le mur en forme de bouches hurlantes, comme les surnoms des personnages : tout est appuyé, répété. La tentative de retranscrire le langage de l'entrée dans l'adolescence échoue : un enfant n'est pas un adulte affublé d'une naïveté simplette de mélodie de boîte à musique. 

L'enquête qui suit la mort du voisin occupe le centre du livre. Elle s'étire de fausse piste en faux témoignage et on se demande l'intérêt de l'intrigue policière dans le déroulement de l'histoire de la fillette. Comme on pourrait se demander l'intérêt de consacrer une chronique à un livre qui ne nous a pas plu assez pour en dire du bien et pas déplu assez pour qu'on ait envie d'en dire du mal. Sauf qu'il y a plusieurs livres dans La terre fredonne en Si bémol, et si aucun n'est achevé, certains nous font entrevoir ce qu'ils auraient pu être. La peinture de la dureté de la vie du prolétariat européen du vingtième siècle tardif nous accroche. Elle est rendue plus insupportable encore parce que décrite à travers les petites choses qui marquent une enfant. Partager son lit avec une sœur qui ronfle et qui prend toute la place c'est déjà manquer de tout. Marie Strachan parvient aussi à montrer la façon dont la pauvreté produit une honte qui ne peut s'éteindre parce que celui qui la ressent n'en est pas responsable, la façon dont des parents frustes voient leur enfant intelligent comme une bizarrerie dont on ne sait s'il faut se réjouir et se vanter ou se méfier avec agressivité.
Et on comprend encore que ceux qui n'ont rien n'ont qu'une seule chose à perdre, leur fierté. Et on comprend enfin ce qui les pousse à se demander sans cesse : « que vont penser les gens ? »

Lanterne musicale de l'enfance
Il faudrait, pour savoir ce qu'en pensent les gens savoir à qui s'adresse le livre : illisible par un enfant, agaçant pour un adulte, il souffre d'un manque de choix. On l'aurait aimé ce livre, enfin, je l'aurais aimé, si seulement Mari Strachan avait fait un choix, si elle avait, par exemple choisi de s'attacher seulement à cette sortie de l'enfance, ce moment dont on ne se remet jamais, quand on réalise que si le voisin a disparu, c'est qu'il est mort, et que s'il est mort, c'est que la vie d'adulte pauvre est une vie impossible. Alors, avant que le temps nous expulse de l'enfance, il faut s'acharner à croire encore un peu qu'on pourra s'envoler, encore un peu que d'en haut on entend La terre fredonne[r] en Si bémol, dans notre imagination comme dans le livre de Mari Strachan paru chez 10-18. 

Grâce à SR, l'audio se trouve ici, sur un fond musical distillé par la lanterne musicale de notre enfance.


TL;DR : Une histoire du pays de Galles pauvre au 20 ème siècle, tentative  pas tout à fait réussie de décrire la sortie de l'enfance à travers une enquête policière dans un village côtier paysan.         

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