Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 24 mars 2014

Canal Mussolini, d'Antonio Pennacchi.

Tout commence par la faim dans Canal Mussolini, le chef d'œuvre d'Antonio Pennacchi, paru au Livre de poche. C'est la faim qui pousse les Perruzzi à quitter le Nord de l'Italie, la faim et les propriétaires terriens qui l'entretiennent.  Et l'amitié du grand-père avec ce Rossoni, un agité qui veut donner la terre aux paysans, et qui fonde un petit comité, un faisceau, un fasci. On sait dès le début comment tout ça finit, mais on a beau savoir... 

Pennacchi n'a pas besoin de suspense pour nous tenir en haleine, juste de montrer comment la nécessité pousse les hommes dans des logiques qui les dépassent. On aimerait bien penser que le fascisme, nous, on n'aurait pas donné là-dedans. Mais si le maudit comte Zorzi Villa nous avait aussi volé nos bêtes on aurait peut-être enfilé une chemise noire, et on aurait sûrement pas refusé du parti le domaine qu'il nous proposait, et un jour la terre, et pas seulement la terre, mais une cause, une œuvre. Parce que creuser le canal Mussolini, pour ces simples métayers, ce n'était pas adhérer à la folie des grandeurs du Duce, c'était assainir le marais Pontin, c'était le cultiver, le bonifier parce qu'à l'époque, je le répète, on avait faim. 

Cet aller retour entre la fin et l'origine, pour chaque événement, pour l'histoire entière, ce tricotage est un tour de force derrière lequel on sent un travail titanesque, probablement l'œuvre d'une vie, mais un travail accessible grâce au style populaire, paysan, admirablement rendu par l'excellente traduction de Nathalie Bauer. 

Antonio Pennacchi travaille à raconter le travail, peut-être parce qu'il a passé trente ans dans les usines d'Alcatel, peut-être parce qu'on imagine que ses oncles à lui ressemblent à ceux du narrateur. Avec la même vie terrienne, rurale, implacable, cette vie où on fait des enfants parce qu'on en a besoin pour travailler la terre. Et plus on est pauvre, et plus on en a besoin ; seuls les riches n'en on pas grand besoin. Pennacchi décrit le chantier ou le labour comme s'il les avaient vécus, et c'est pour ça que rien n'est jamais ennuyeux, ni l'assèchement du marais, ni les semis, ni les récoltes, ni la préparation d'une poule au pot ni même l'apparition des sanitaires et la façon dont on se torchait encore avec une simple touffe d'herbe. 

Excusez-moi ? Pardon ? Vous trouvez ça vulgaire, vous préférez quand on parle de l'histoire des généraux, des ministres et des poètes ? Mais ils ont les mains sales eux-aussi, comme les Perruzzi, comme le narrateur, dont on voit qu'il s'adresse directement au lecteur à chaque fois que la honte rétrospective l'oblige à expliquer comment, pourquoi les choses arrivent, et sa honte devient la nôtre parce qu'il montre, en creux,  qu'on n'est pas bien meilleurs ; que nos immigrés d'aujourd'hui sont eux aussi poussés par la nécessité. L’Histoire se déplace, se camoufle, se répète, comme le livre, elle se construit dans une spirale implacable, parce que chacun a ses raisons, surtout ceux qui ont faim. Et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, avoir plus de temps pour en parler, en parler encore, parce qu'on ne veut pas quitter ces frères Perruzzi, et encore moins leurs femmes, avec leur réalisme magique et leur force animale. 

On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, que ce  livre qui commence par la fin se termine par le début, parce qu'en tournant la dernière page, je me suis senti seul, plus seul que ces frères soudés par la nécessité qui les pousse, du mauvais côté bien-sûr, mais ensemble. Et je parie que malgré les six cents pages que compte Canal Mussolini, d'Antonio Pennacchi, paru au livre de Poche, vous aurez envie vous aussi de le reprendre au début, parce que ce qu'il raconte au passé ne semble pas si différent de ce que le futur nous promet encore si on n'y prend pas garde aujourd’hui. 

Canal Mussolini, Antoni Pennacch, Au livre de Poche, 8,10 €. 

L'audio est ici, mais je ne suis pas satisfait,il y a des plosives qui exagèrent, alors je vais essayer de le réenregistrer. [ EDIT ] Voici la version finale de l'AUDIO de la chronique, là. 

TL;DR : Le parcours d'une famille de paysans de la misère au fascisme, un livre dérangeant sur les raisons qui peuvent expliquer comment la pauvreté est le terrau de tous les fascismes. Style terre à terre, bouquin fantastique. 

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