Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 12 mai 2014

Limonov, d'Emmanuel Carrère, disponible chez Folio (publié en premier lieu chez POL).

Emmanuel Carrère parle, dans Limonov, son dernier livre paru chez Folio, autant de Limonov que d'Emmanuel Carrère. Il faudrait réussir à ne parler que du livre mais je n'y arrive pas. Emmanuel Carrère n'est pas un auteur parmi d'autres, c'est l'auteur de l'Adversaire, l'auteur qui a affaiblit la fiction dans le roman, mais sans qu'on y prête garde, sans le nombrilisme excessif de Catherine Millet ou de Christine Angot, avec un talent et une sensibilité qui le placent au-dessus de la critique. 

Mais ce qui faisait la force de l'Adversaire est aujourd'hui ce qui fait la faiblesse de Limonov. Plus exactement, c'est ce qui l'empêche d'être un livre sensationnel.  Car comme toujours, Emmanuel Carrère écrit avec précision et légèreté, comme toujours on sent la maîtrise et le lâcher prise d'un écrivain dont la langue maternelle n'est pas le français, non, mais le très bon français, le français littéraire au quotidien. 

Le véritable sujet du livre est finalement ce hiatus social entre Edouard Limonov et Emmanuel Carrère. Limonov a très jeune la conviction de mériter mieux que ce qu'on attend de lui, mieux que ce que son père, tchekiste terne et lâche, accepte d'une Union Soviétique triste et déclinante. Mais il a aussi la peur de ne pas être assez dur pour ça.
Carrère au contraire, a toujours l'anxiété de ne pas vraiment mériter ce qui lui arrive, juste parce qu'il n'a rien fait pour être bien né. Il semble alors envier de Limonov précisément ce qu'il ne faudrait pas envier : la jeunesse grise et triste, les galères, les années de plomb d'une dictature léthargique, et l'hypersensibilité, celle qui engendre une souffrance telle qu'on s'affranchit de la contrainte morale. 

Lorsque Limonov franchit les mauvaises lignes jaunes, les mauvaises frontières, que ce soit avec les milices serbes d'ex-Yougoslavie ou avec des filles de plus en plus jeunes, Emmanuel Carrère donne des éléments de contexte, il dézoome, il ne détourne pas la caméra, soit, mais il passe en plan large, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que ce soit plus pour expliquer que  pour excuser.

Mais si Emmanuel Carrère n'avait pas été le modèle, celui de qui on souhaitait apprendre le métier,  aurait-on été aussi agacé de le voir parsemer son texte de gros mots comme un adolescent qui croit que dire bite ou chatte le rend aussi rebelle qu'un Limonov après la prison et le camp de travail ? Non. Bien-sûr que non. On lui aurait été reconnaissant de cette description enfin juste de la Russie qu'on a tant aimée dans les années 90 ; on aurait salué qu'enfin un auteur français explique aux occidentaux pourquoi les russes ont raison de détester Gorbatchev ; on aurait frémi de plaisir à reconnaître le Moscou interlope des années 2000, et on se serait incliné devant une telle capacité à nous faire comprendre un personnage aussi complexe, polymorphe, insaisissable que Limonov. 

Il faut donc faire ce qu'Emmanuel Carrère n'a pas su faire : oublier Emmanuel Carrère. et ne retenir de Limonov, disponible en Folio, que la vie chaotique, pitoyable, grandiose et pathétique d'Edouard Savenko désormais non seulement célèbre, mais enfin connu sous le nom d'Edouard Limonov.

Limonov, d'Emmanuel Carrère, disponible chez Folio pour 8,40 €. Originellement publié chez POL. 

L'audio de cette chronique est disponible ici, grâce à sa majesté SR. La musique de fonds est un morceau du musicien russe Dolphin (mais je n'ai pas retrouvé la pochette de mon CD, donc, pour le titre, je chercherai si demande dans les commentaires).

TL;DR : Emmanuel Carrère écrit une biographie d'Edouard Limonov, de sa jeunesse dans l'URSS terne des années 60 à la fondation du parti national bolcheviste en passant par les années de galère glamour new-yorkaises et parisiennes. Un excellent livre, mais l'auteur pourrait s'effacer un peu. 

3 commentaires:

  1. Si je puis me permettre, j'ai l'impression que vous idéalisez Carrére et que vous dénigrez Edouard Limonov.
    En fait, il ne s'agit pas d'une biographie traditionnelle, mais d'un roman et le véritable Limonov ne ressemble qu'en partie à ce que raconte Carrère.
    Si cela vous intéresse, je l'explique en détait sur mon site consacré au "vrai Limonov" :
    http://www.tout-sur-limonov.fr/

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  2. Merci de votre commentaire. Il ne vous aura pas échappé qu'il s'agit d'un blog littéraire, et que je n'ai d'avis que sur le livre dont je parle, éventuellement sur son auteur, pas vraiment sur son sujet.
    Il serait peut-être plus équilibré que je chronique également un livre de Limonov, mais je ne suis pas certain que sa maison d'édition m'en envoie un. Si je devais n'en demander qu'un, lequel vou semble le plus représentatif de l'œuvre littéraire d'Edouard Limonov ?

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    1. Vous avez le choix concernant les livres d'Edouard Limonov. Et je pense que ses maisons d'édition vous enverraient ses livres avec plaisir.
      Pour vous permettre de choisir, voici une présentation que j'ai faite des principaux livres de Limonov :
      http://www.tout-sur-limonov.fr/222318819

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