Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 23 juin 2014

Les désarçonnés, de Pascal Quignard, chez Folio

Désarçonnés. Folio publie cette année Les désarçonnés, 7ème volume du cycle Dernier royaume, auquel se consacre Pascal Quignard depuis 2002.­

C'est un essai au sens Montagnien du terme, mélange de réflexions historiques, d'ébauches théoriques, de ressentis intimes, qu'une liberté formelle étonnante rend agréable à lire. Le premier chapitre ressemble à de la fiction historique. Le deuxième fait huit pages, le troisième, encore différent, introduit le sujet à proprement parler : les désarçonnés. 

Pascal Quignard l'aborde de façon littérale : est désarçonné celui qui perd le contact avec l'arçon, c'est à dire celui qui tombe de sa selle, de son cheval. Le père de Georges Sand meurt désarçonné, et c'est un écrivain qui naît. Écrire, ce n'est donc pas vivre, mais survivre, survivre à quelque chose. Du littéral au figuratif, le désarçonné perd sa position dominante, sa direction, son assurance, sa route, il perd l'évidence. Il faut être tombé pour écrire. Il faut écrire pour être vraiment soi. 

Pascal Quignard se promène dans le temps comme on se promène dans l'espace, sa monture à lui est l'érudition. Il s'appuie sur l'étymologie pour déconstruire un monde que l'habitude nous empêche de bien voir. Du moins jusqu'à ce qu'on soit désarçonné, et qu'il faille à nouveau penser sa route, à nouveau la choisir, se redéfinir. Sortir de la meute. La thèse de Quignard, qu'on reconstruit au fur et à mesure qu'il nous en donne des fragments, c'est que le caractère social de l'homme est une malédiction. Nous naissons inachevés, vulnérables, dans le besoin les uns des autres, et nous gardons de ce besoin initial du groupe une habitude de la soumission. Nous devons donc engager une lutte contre le social. Mais pour ne pas périr, il ne faut pas la mener de front, il faut inventer une vie secrète où survivre et transgresser le seul véritable interdit de la vie sociale, une vie secrète où l'on puisse ne pas hurler avec les loups.

Ce dont rêve Quignard c'est d'une compagnie de solitaires qui se choisissent, comme Montaigne et La Boétie, une compagnie qui comprendrait Nietzche bien-sûr, et Spinoza et... mais Quignard ne cite que des morts.
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On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé que l'érudition fasse parfois place à l'expérience, que  Quignard se frotte à la vie, à la dureté du quotidien de ceux pour qui aucun chemin de gloire, aucune évidence rédemptrice ne se dessine. On aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, qu'il nous dise comment on fait nous, englués dans la réalité, désireux de ne pas négliger ceux qu'on aime, comment on fait pour tomber de cheval sans désarçonner tout le monde. Comment fait-on pour se reconnaître, pour se retrouver, entre solitaires désireux de partager le plaisir qu'on prend à ne pas crier, le plaisir qu'on prend à lire, à lire par exemple « Les désarçonnés », de Pascal Quignard, disponible chez Folio.

Les désarçonnés, Pascal Quignard, Folio, 7,40 €


La chronique audio est disponible ici, le fonds sonore est (après l'ouverture de Guillaume Tell) la rêveuse, de Marin Marais, interprétée par Jordi Saval (Quignard est un violoncelliste et fan de viole). 

TL ; DR : Les désarçonnés est un essai sur la nécessité de sortir de l'habitude d'être soi pour choisir le chemin qui nous convient, pour ne plus hurler avec les loups. Parfois fouillis, parfois un peu pédant, mais une vraie bouffée d'oxygène. 

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