Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 9 juin 2014

L'intensité de la vie quotidienne, de William Nicholson, paru au Livre de poche.

L'intensité de la vie quotidienne, de WilliamNicholson, paru au Livre de poche, décrit quelques jours dans l'existence d'une douzaine de personnages. Rien d'extraordinaire, sans doute, et le début fait craindre un livre choral, de ceux qui orientent toutes les trajectoires vers une résolution finale spectaculaire et artificielle.

Mais ce qui fait qu'on tourne les pages, et on tourne les pages, on ne cesse de les tourner alors qu'au fond on sait que c'est l'heure qui tou
rne et qu'on regrettera ensuite d'avoir négligé les papiers administratifs, les offres d'emploi, les coups de téléphone urgents, ce qui fait qu'on tourne les pages ce n'est pas un scénario emberlificoté, pas une suite de trucs, de cliff-hangers chargé de suspens lourdement appuyé, ce qui fait qu'on tourne les pages c'est l'empathie qu'on ressent pour les personnages. Elle ne vient pas de l'habituelle prostitution des bons sentiments, elle est là, juste là, servie par un style impeccable, qui offre à chacun, avec une maîtrise éblouissante, une voix qui lui est propre. Le passage de la troisième à la première personne du singulier, du il ou elle au je n'est jamais artificiel, c'est juste un effet de zoom qui nous fait pénétrer dans l'intimité, les cœurs, les cerveaux, les angoisses, les espoirs, la lutte de tous contre l'usure du quotidien, contre l'érosion des rêves, ou contre leur dictature infantile. L'irruption du passé est montrée sans effet de manche, par un simple changement de temps, et on croit redécouvrir à quoi sert la conjugaison.

La délicatesse de William Nicholson sonne si juste qu'on a l'impression non pas qu'il construit ses personnages, mais qu'il les observe. Lorsque les mains de Jack gèlent sur le guidon de son vélo, alors que le soleil de juin envahit mon vélux brûlant, je me rappelle qu'il ne s'agit que d'un roman, je retiens mes larmes et je profite de cette satisfaction dont la réalité nous prive presque toujours, comprendre, vraiment comprendre un être humain, des êtres humains, leurs relations.
On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, pouvoir résumer l'histoire pour donner envie de la lire. Mais toutes mes quatrièmes de couvertures, autant que celle proposée par le Livre de Poche, sonneraient comme celles d'un mauvais roman de gare. Henry et Laura sauveront-ils leur couple du fantôme d'un amour de jeunesse ? Alan parviendra-t-il à devenir l'écrivain qu'il croit être ? Comment Jack, Carrie et Alice feront-ils face à la violence sociale de la cour de l'école ?

Impossible de faire une bande annonce efficace, car leur vie est celle de tout le monde, la mienne, la vôtre, et tout ne tient que par l'écriture subtile d'un auteur qui s'attache à des êtres sensibles, avec une qualité dont l'époque actuelle semble dépourvue ; une qualité qui effraye les critiques branchés : ils la confondent avec la flatterie ; une qualité qui terrifie les écrivains cyniques et médiocres : ils la prennent pour de la mièvrerie. Il faut une confiance énorme en son métier d'écrivain pour raconter l'intensité de la vie quotidienne comme le fait William Nicholson dans son dernier roman paru au Livre de Poche : avec bienveillance.

L'intensité de la vie quotidienne de William Nicholson, au Livre de Poche. 8,10 €. QUOI ? C'est tout ? Huit euros et dix centimes pour une semaine de putain de bonheur ? Achetez-le, il n'y a pas meilleur rapport qualité prix. 

La chronique audio est disponible ici, et ceux qui voudront remercier SR d'héberger les mp3 pourront le faire dans les commentaires, moi j'ai plus le droit. 

TL ; DR : Un roman sensible sur les émotions qui façonnent notre vie, conditionnent nos décisions, nous font grandir. Je suis incapable de résumer ce livre, mais si vous ne l'aimez pas, vous n'avez pas de cœur, ou pas de goût ou ni l'un ni l'autre. 


3 commentaires:

  1. Très belle critique... une petite réflexion constructive tout de même : si le style est si remarquable "qu'on croit redécouvrir à quoi sert la conjugaison", ne faut-il pas en accorder une part de crédit au traducteur / à la traductrice et le/la citer pour sa remarquable adaptation ? à moins que l'auteur, anglophone il me semble, ne traduise lui-même ses romans en français... ce qui mériterait aussi, le cas échéant, d'être applaudi !!!! Ceci dit merci pour cette belle critique qui donne envie de lire ce roman... je le note dans ma liste... l'ordinateur lui a attribué le numéro 8 451 !!!... autant dire que les chances que je le lise sont infinitésimales... heureusement, en fait, que j'ai depuis longtemps abandonné cette liste... ce qui permettra peut-être à ce livre de me tomber dans les mains !

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  2. La traductrice est Anne Hervouët, et elle fait un travail formidable. C'est à la fois transparent et brittish. Je n'ai pas le texte original (contrairement au Powers) mais la traduction est limpide et fluide. Cependant, le jeu de conjugaison très sobre est bien du ressort de l'écrivain, Nicholson n'en fait pas des tonnes, et l'essentiel est souvent suffisant.
    Merci de ton assiduité sur le blog !

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  3. La traductrice est Anne Hervouët. Elle fait un travail formidable, avec une traduction transparente et brittish à la fois. Elle a ajouté une postface que je n'ai aps lue pour ne pas me laisser influencer dans ma chronique, mais que je vais lire de ce pas. Cela dit, le jeu des temps dont je parle est vraiment la simplicité avec laquelle Nicholson passe au passé pour une histoire parallèle. L'essentiel est souvent suffisant.

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