Ce que j'ai pensé de

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Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 13 octobre 2014

Petit éloge de l'errance, d'Akira Mizubayashi

Petit éloge de l'errance, d'Akira Mizubayashi, dans la collection Folio 2 €, est un livre déroutant et rassurant à la fois. Rassurant parce que déroutant. Il y a quelque chose de rassurant à se dire qu'il existe encore des différences culturelles, qu'il existe encore de l'étrange chez les étrangers, même lorsqu'il écrivent en français. 
On aurait pu s'attendre à des récits de voyage, ou au témoignage d'une vie underground et déjantée, mais l'errance dont parle Akira Mizubayashi exige de nous un déracinement pour se faire comprendre. Alors que nous sommes un peuple d'individualistes qui se lamentent sur l'absence d'esprit collectif, le Japon que décrit Akira Mizubayashi est un corps étatico-moral unique, un animal à sang froid au nom duquel ses habitants se réfugient dans un conformisme mortifère. 

On aurait aimé, nous, enfin, j'aurais aimé, que mon pays respire d'un seul souffle, j'aurais aimé croire qu'en cas de catastrophe nucléaire certains d'entre nous se porteraient volontaires pour décontaminer un site au péril de leur vie. Mais ce que montre Mizubayashi, c'est que c'est ce même esprit de corps, qui après la catastrophe, empêche l'émergence de voix discordantes, la réflexion individuelle au service du collectif. 

La démonstration passe par un éloge étonnant du contrat social de Jean-Jacques Rousseau, sans doute un peu idéalisé, à la façon dont nous redécouvrons la beauté de notre pays dans les commentaires émerveillés de touristes qui n'en sont pas blasés.  

Les passages où l'auteur s'éveille à cette dissonance entre lui et le collectif renvoient à son enfance, à la honte, à la peur de la différence. Ce sont les plus forts du livre. Ils semblent expliquer les scènes du cinéma de Kurosawa autant qu'être expliquées par elles, et l'on peut relier l'expérience du Ronin qui s'exclut volontairement des ordres de la société japonaise et celle d'un jeune universitaire peu chaleureux qui doit se battre contre les positions d'autorité de grands professeurs et de petits ambassadeurs. 

L'errance dont on souffre parfois, celle qui nous fait pleurer une communauté fantasmée où l'on n'a jamais su trouver sa place, celle qui nous fait envier ceux qui ont trouvé la leur, l'errance qui nous fait dire « ce serait plus facile si je faisais comme eux », c'est aussi celle qui nous empêche de penser comme eux, ceux qui sont nés quelque part, de penser comme ceux qui ne font pas l'effort de penser. Mizubayashi, lui, a dû apprendre à penser contre son corps social pour se faire « habitant solitaire d'un royaume intermédiaire où l'on parle à la fois japonais et français, et en me demandant comment un jour, on pourra faire advenir un monde meilleur plus soucieux de la valeur de chaque voix singulière, et par conséquent, de chaque individu. » 

Il doit exister entre le conformisme et l'individualisme une zone où se pratique ce Petit éloge de l'errance, cher à Akira Mizubayashi et disponible dans la collection Folio deux euros. 

Le fonds sonore de la chronique, que vous pouvez écouter , est assuré par le morceau The Lost voices du DJ Japonais DJ Krush.


TL ; DR : Petit éloge de l'errance, de mizubayashi, en Folio 2 € (seulement 2 euros!) parle de la nécessité de laisser s'épanouir des voix singulières. Ecrit en français par un japonais, c'est un miroir inversé de notre société. Déroutant et rassurant à la fois. À lire. 

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