Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mardi 4 novembre 2014

Le Premier Homme, d'Albert Camus

On peut lire Le premier homme,d'Albert Camus, dans la collection Folio Poche, au prix de sept euro quarante. Mais il faut savoir, avant de commencer, qu'on ne finira pas. Parce Le premier homme a été publié tel qu'il a été retrouvé dans le coffre de la Facel Vega à bord de laquelle Albert Camus a trouvé la mort en janvier 1960. Cette mort sans raison est la métaphore ironique d'une œuvre tout entière tournée vers l'absurde. « Le vrai mystère, dans beaucoup de cas, c'est qu'il n'y a pas de raison du tout. »


Alors que nous cherchons des modèles tout faits pour nous épargner la peine d'assumer nos choix, nos responsabilités d'hommes et de femmes, alors que nous cherchons des philosophies toutes faites pour justifier notre colère, notre soif de vengeance, notre violence qui bien souvent se sert des causes qu'elle dit servir, Camus ne livre aucun système, juste des pistes, juste « Mais non, un homme ça s'empêche, ou sinon... »

On envie toujours les génies. On envie les honneurs, les femmes, le prix Nobel. Ce qui se voit. Sans imaginer ce qui y mène. Le premier homme décrit cette vie, cette dureté qui prépare au génie. Il décrit la pauvreté, pas celle dont je me plains, moi, parce que j'ai peur du RSA où que je compte les kilomètres à cause du prix du diesel. Non celle qui fait qu'on prend des coups pour avoir perdu la monnaie des courses, celle du travail permanent, qui épuise la mère, déjà incapable de trouver les mots parce que la surdité, alors, rendait quasi analphabète. Il n'y a pas de misérabilisme parce que ce que décrit Camus, c'est moins les conditions que la manière d'y résister, c'est à dire la joie. La joie, au

sens où Spinoza en parle, cette force qui pousse à piquer des fruits dans le parc botanique, cette joie qui pousse, malgré les promesses de coups de cravache, à user les clous des semelles pour gagner le match de foot à la récréation. Le même appétit dans la lecture, l'apprentissage, tout ce qui permet d'approcher la beauté. Parce que « c'est la faiblesse devant la beauté qui contribue à nous rendre le monde supportable. » Pas de nostalgie, pourtant. Camus écrit que le temps perdu ne se retrouve que chez les riches. La vie des pauvres est saturée de ce travail qu'on doit rechercher sans cesse, ce « privilège de la servitude. » La bourse qu'il obtient grâce à son instituteur lui permet de sortir du monde des pauvres, « rassurant, fermé, solidaire » mais sur les traces duquel le narrateur revient pour éclaircir les mystères, au premier rang desquels celui du père, mort pendant la grande guerre. Mais finalement, il n'y a que le « mystère de la pauvreté, qui fait les êtres sans nom et sans passé. » Ne reste qu'à apprendre à « aimer la nécessité affreuse de la vie. »

On voit qu'il reste encore pas mal de pages, alors on ne tremble pas encore de cette fin qu'on sait ne pas devoir venir. Et on se fait surprendre. Le livre s'arrête sans prévenir, comme contre un platane, et ensuite, ce sont les notes. C'est une torture de les lire. Elles laissent imaginer le chef d'œuvre dont l'absurde mort nous a privés. Chacune de ces notes est la graine d'un chapitre qu'on ne verra pas grandir, sur l'adolescence, la tuberculose, la question coloniale, l'art. Et les femmes, et la mère, encore, et comment réconcilier en lui l'Algérien et le Prix Nobel. Et des professions de foi : « La noblesse du métier d'écrivain est dans la résistance à l'oppression, donc au consentement à la solitude. » C'est elle, la solitude, qu'on ressent, plus encore que l'absurde, quand on referme le livre. Où sont les pères, les frères d'arme, les frères de plume ? Et comme il faut une fin, sinon au Premier homme, d'Albert Camus, disponible en Foliopoche, du moins à cette chronique, essayons de croire à cette note, perdue dans les annexes : « Dans l'histoire la plus vieille du monde nous sommes les premiers hommes, non pas ceux du déclin comme on le crie dans les journaux, mais ceux d'une aurore indécise et différente. »


Vous pouvez écouter la chronique audio avec des morceaux de Facel Vega dedans et un bonus Nobelo-camusien. C'est là. 

TL ; DR : Le premier homme, d'Albert Camus est le contraire d'une ruine : un chantier, une esquisse, inachevé et pourtant parfait. Pas comme la chronique qui voudrait vous donner envie de le lire. 


2 commentaires:

  1. Un bon souvenir de lecture, sans compter que j'aime beaucoup cette collection qui tapisse une grande partie de ma bibliothèque...

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  2. J'aime beaucoup Folio, mais je dois t'avouer que je l'ai en fait lu dans une vieille édition France-Loisirs, prêtée par mon beau-frère.

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