Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 24 février 2014

Cold in Hand, de John Harvey


Cold In Hand est le dernier polar de John Harvey paru chez Rivages / Noir. Il s'ouvre sur une bagarre de rue : l'intervention d'une femme flic tourne mal, une adolescente est tuée, la mécanique s'enclenche. D'emblée tout est visuel, percutant, dès les premières pages, on sait que le livre imposera à notre quotidien son petit univers parallèle, qu'on aura envie de sortir du travail plus tôt pour retrouver Resnick, sa jeune collègue Lynn Kellog et l'univers sinistre à souhait d'un commissariat de province dans une Angleterre grise et miséreuse noyée par la pluie. 

La famille accuse la policière de s'être servie de la victime comme d'un bouclier contre l'agresseur. L'intrigue qui en découle n'est pas dénuée de poncifs : les rivalités entre quartiers, entre communautés, la concurrence entre les différents services,  les tensions sexuelles entre les personnages. Mais ce n'est pas parce qu'elle est originale qu'on suit l'intrigue, c'est parce qu'on y croit. On y croit parce que les personnages sont palpables, consistants, on ressent la viande quand les balles la traversent, on suit le déroulement de l'enquête, puis des enquêtes, comme armé d'une caméra et abrité par l'épaule des protagonistes. Pas de narrateur omniscient, pas de chute imprévisible, pas de : Tadaaa, je vous ai bien eus. Quand les affaires se croisent, ce n'est pas le fruit d'une construction invraisemblable, mais le résultat inéluctable des collusions des acteurs d'un même milieu. On les observe ensemble. Ensemble on se coltine l'incertitude des enquêteurs, la rouerie des voyous, ensemble on déchiffre les mécanismes d'un écosystème de l'humanité dysfonctionnelle.

L'impression de réel est telle que la suspension d'incrédulité est totale. Pire, l'incrédulité revient mais à l'intérieur de la réalité dans laquelle Harvey nous plonge. Les attaques sont toujours foudroyantes, inattendues. 

Soudain, j'ai posé le livre. Je suis revenu quelques lignes en arrière, et je me suis entendu dire : « 'ttends c'est pas possible, j'ai dû zappé un truc, ça ne peut pas se passer comme ça ». Mais ce que je pensais vraiment c'est, « ça ne devrait pas se passer comme ça. » Comme trop souvent dans le vrai monde, comme trop souvent dans la vraie vie. 

Le style n'est pas flamboyant, pas tape-à-l'œil mais comme pour l'intrigue ou les personnages, simplement, il sonne juste. Une justesse qui s'approche de la perfection quand il s'agit des dialogues. John Harvey réussit à trouver l'équilibre subtil  entre les niveaux de discours, ce petit tour de passe-passe qui nous fait prendre une écriture très travaillée pour du langage parlé. 

On aurait aimé, enfin j'aurais aimé découvrir le personnage de Resnick il y a 20 ans, comme les afficionados de John Harvey. Mais même pour ceux qui comme moi, le rencontrent pour la première fois, il est évident que Resnick ne quitte jamais la tête de l'auteur, comme une mélodie qui traîne, celle de Cold in hands, par exemple, la chanson de Bessie Smith et Louis Armstrong dont John Harvey a volé le titre pour son dernier roman paru chez Rivages / Noir

Cold In Hand, Rivas/noir, et ça vaut ses 9,65 €. 

Le fonds sonore de la chronique audio provient de l'album de Massive Attack, Mezzanine, le morceau est Risingson.

TL ; DR : De quoi convertir ceux qui n'aiment pas le polar. Le style devrait servir de leçons à nombre d'auteurs soi-disant plus littéraire. L'effet de réel est stupéfiant, j'ai vibré, ressenti, craint, aimé, pleuré. Merde, j'ai pleuré pour un polar, que dire de plus ?

jeudi 20 février 2014

Fatigue, mémoire, mots.

Il n'y a pas que la littérature dans la vie. La fin de contrat, le chômage qui pointe sa sale vilaine tête de hyène, et la trouille me réveille la nuit. Je ne dors pas assez, ça me rend irritable, con, et enfin à moitié aphasique.
À un certain degré de fatigue, les processus s'éteignent comme si la CPU était saturée. D'abord la notion du temps, puis la gestion de l'humeur, après je deviens bègue (ce qui ne manque pas de faire marrer mes collègues comme autrefois ma famille) et enfin, l'orthographe me quitte. 
Je relis mes mails trois fois avant de les envoyer et je repère avec horreur des phrases entières écrites en phonétique. 

À quelque chose malheur est bon, cette perte des repères syntaxiques m'a offert une révélation rétrospective. Elle a effacé de longues années de perplexité lexicale. 

J'étais dans ma douche, je ruminais les excuses que j'avais à faire pour une colère disproportionnée, et marabout-bout de ficelle, je suis passé de "je fais ce que je peux" à "je n'suis pas un héros". Et, alors que le goût du shampoing m'indiquait que j'aurais dû fermer ma bouche - je suis chauve, mais j'utilise parfois du shampoing, pas par refus d'admettre que j'ai perdu la guerre des golfes, mais parce qu'il y a un automatisme  antérieur crâne=>shampoing qui se remet en place passé un certain stade de fatigue - j'ai résolu une énigme qui me taraudait depuis mon enfance. 

Mon frère était fan de Daniel Balavoine, tout le monde, je crois, était fan de Daniel Balavoine dans les années 80, sans doute parce qu'il avait aidé Thierry Sabine à construire des puits dans le désert pour justifier le Paris Dakar, et mon frère avait un vinyle ondulé parce qu'il avait pris chaud au soleil. Le Vinyle. Certaines chansons étaient inaudible mais pas  "Je ne suis pas un héros".

Et je chantais à tue tête, puisque j'étais fan de tout ce dont mon frère était fan et que tout le monde était fan
de Balavoine, "Je n'suis pas, un héros,  mais faut pas me colle à la peau". 

Qu'est ce que c'est que cette phrase ? Je n'osais pas demander pourquoi il ne chantait pas "mais faut pas m'coller à la peau". Je devais avoir neuf ans, et, honte retrospective, je n'avais pas le vocabulaire suffisant pour entendre ce que Balavoine chantait. 

Mais là, dans ma douche, le module orthographique désactivé faute de ressources, je me suis mis à fredonner en phonétique : méfopamecollàlapeau, et le chemin inverse, et l'illumination. 

Mes faux pas me collent à la peau. 

Maintenant, je regrette cette époque bénie où je ne pouvais pas entendre la phrase, parce que je ne savais pas encore que, voyant le chômage pointer sa sale vilaine tête de hyène, je me dirais un jour en secouant ma tête indûment mousseuse de shampoing : mes faux pas me collent à la peau. 

dimanche 16 février 2014

Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock


Il y a, dans Le Diable tout le temps de Donald RayPollock, paru au Livre de Poche, quelque chose qui nous fait dire que ce livre n'aurait pas pu être écrit par un français. Et ce n'est pas le décor, l'Amérique profonde et crasseuse, ce n'est ni la country, ni le jazz, ni les prédicateurs apocalyptiques, les drugstores , ce ne sont pas les shérifs, ni les flingues, ni les Ford, ni les Chevrolets. Enfin si, bien-sûr, c'est aussi tout cela. Mais c'est une ampleur, une épaisseur, un élan si lourd, si charnel dans la façons dont l'auteur décrit le parcours d'un jeune garçon élevé dans une horreur qui le corrode sans pour autant jamais corrompre sa nature. On sent le travail, dans le livre de Donald Ray Pollock, au point que c'est parfois un peu scolaire, on croit distinguer des techniques d'atelier d'écriture dans la façon qu'il a de présenter ses personnages.


 On craint le livre choral tendu vers une grande révélation artificielle, et on savoure l'inexorable déroulement d'une tragédie excessive. Non, ce qui semble si peu français c'est que tout ce travail qu'on ressent ne sent pas le jus de cerveau mais la sueur, on ne voit pas des ficelles stylistiques faciles, mais du muscle romanesque, de l'entraînement entêté. On sent que l'écrivain, comme le seul personnage solaire du livre, a persévéré, qu'il attendait son heure, retravaillant les phrases de cet hallucinant premier roman avec la hargne de celui qui pense que le génie n'est rien sans le travail. On pourrait être rebuté par cette pesanteur, mais la limpide simplicité de l'écriture cache dans cette longue description d'horreurs à la fois quotidiennes, mesquines et insoutenables, une sensibilité inattendue.

Ma mère me racontait que petite elle jouait avec ses sœurs à se faire peur dans le cabinet noir, sous l'escalier de la maison bretonne de mon grand-père. Nous faisons tous ça, expérimenter la peur pour l'apprivoiser. Le Diable tout le temps est la version hyperbolique du cabinet noir sous l'escalier de la maison de mon grand-père. Partez de ce que vous pouvez imaginer de pire, enfoncez vous encore un peu et vous êtes encore loin du compte.

Mais pourquoi n'arrête-t-on pas la lecture, alors ? À cause des quelques personnages obstinés dont les moyens s'épuisent dans cette lutte contre la fatalité ? Pas si sûr. Comme devant autant de grimaces du cabinet noir, le lecteur se rassure à chaque coup du sort : « Ma vie n'est pas si horrible, mes problèmes ne sont pas si pires, je ne suis pas à plaindre, je ne suis pas à plaindre, je ne suis pas à plaindre. »

Même si on passe son temps à dire « non, non, pas ça », on persiste à espérer. Parce que la rédemption que le héros se forge est teigneuse, teigneuse, violente, mais supportable, parce qu'elle est attachante.


Bien-sûr, parfois, le trop d'horreur fait prendre de la distance, et on se demande si c'était vraiment nécessaire. Bien-sûr, le côté affreux sale et méchant frise parfois la caricature, et on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que les respirations fussent un peu plus nombreuses. Mais toujours on sent que l'exagération se construit sur l'épaisseur de l'expérience. Mais jamais on ne perd vraiment espoir, mais jamais on n'abandonne le petit Arvin, qui devient grand, pas seulement en taille, pas seulement en âge.Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que le livre ne fut pas si noir, mais c'est à l'humanité qu'il faut adresser des reproches, pas à Donald Ray Pollock, pas au Livre de Poche si, où qu'on tourne la tête, on se trouve face au Diable, tout le temps.

Ce livre est la meilleure façon de dépenser 7,10 euros en 2014. 
L'audio est ici, et le fonds sonore est emprunté à Dead Meadows (me and the devil blues).

[EDIT] : Il s'agit d'un premier roman mais d'un second ouvrage,le premier était un recueil de nouvelles . Knockemstiff. 

TL ; DR : Un livre cauchemardesque sur l'Amérique poisseuse, pauvre, consanguine et inquiétante. Mais le personnage principal, solaire, attachant, permet de tenir et fait de ce livre un grand roman, noir, mais grand. 

mardi 11 février 2014

Touriste, de Julien Blanc-Gras, au livre de Poche

Touriste, de Julien Blanc-Gras, paru au Livre de Poche, c'est du pain béni pour chroniqueur littéraire. C'est concis, amusant, c'est détaché. On découvre le narrateur lorsque, tout jeune il décide de parcourir le monde, de collectionner les pays comme d'autres collectionnent les femmes, avec la même gourmandise, la même nonchalance, la même obsession, et la même incapacité à établir une vraie relation. Tout dans ce livre procède de la séduction. L'écriture va au plus vite, elle ne s'attarde jamais : surtout éviter les lourdeurs, et tant pis pour les sentiments. Julien Blanc-Gras a le sens de la formule. Quand il décrit la ferveur de ces mendiants estropiés on ne peut que sourire : « La foi, c'est ce qui reste quand on n'a plus de jambes. ». Son sens de l'exagération venge nos voyages pénibles, nos déceptions exotiques, surtout quand il parle du « calme mystique à peine atténué par les meutes de touristes et les rabatteurs dont on ne peut se débarrasser qu'en s'immolant par le feu.»

Mais les grands séducteurs, arrive un moment où l'on voudrait qu'ils se livrent un peu. On aimerait, une fois qu'ils nous ont tant plu, qu'ils fassent preuve d'un peu de sincérité, parce qu'à la longue, on finit par remarquer les ficelles. La façon dont Julien Blanc-Gras joue sur un contraste entre l'adverbe, grave, et un adjectif léger pour créer une cassure dans la phrase. Ou la façon dont il surutilise l'hyperbole pour nous tirer un sourire. Les phrases à la Paulo Coehlo bobo café Flore finissent par lasser, par exemple : « Prendre une photo c'est prévoir de se souvenir du passé dans un futur prochain. » . Quand il traite les hippopotames de gros ongulés, et on a envie de dire « arrête, arrête cinq minutes ». Les pays défilent, les formules désabusées se succèdent, on voit Julien Blanc-Gras chez les anglais, Julien Blanc-Gras chez les colombiens, les indiens, les malgaches. Mais on voit si peu les anglais, et pas les colombiens, ni les indiens, ni les malgaches. On les a croisés, ces voyageurs à qui on ressemble, qui font preuve de courage, oui, mais pas de patience, qui vont partout, tout seul, mais assez vite pour n'y voir toujours que la même chose.
Car les premières personnes à qui on parle, en voyage, ce sont toujours un peu les mêmes. Ceux qui ont quelque chose à nous vendre, ne serait-ce que leur temps, ceux qui sont attirés par l'occident, ceux qui cherchent à tout prix à nous donner la meilleure image de leur pays, parce que finalement notre opulence provoque l'envie autant que la honte. Et les autres touristes. Ceux qui voyagent comme nous et flattent notre narcissisme baroudeur. Enfin, ceux qu'on méprise un peu parce qu'ils ne sont pas roots, n'ont pas le détachement, l'ironie, la distanciation. Julien Blanc-Gras appellent ceux-là Allemandenshort, en un seul mot et quelle que soit leur nationalité. Bien-sûr il se dédouane en écrivant : « Mon sac à dos et ma solitude ne me confèrent aucune supériorité morale sur le troupeau. Simplement, je préfère le contourner. » 
On est toujours un peu le troupeau de quelqu'un, non ? Et Julien Blanc-Gras semble contourner le lecteur.
On aurait voulu, enfin, j'aurais voulu, qu'il s'arrête un peu plus d'un instant. Qu'il n'ait pas peur d'alourdir sa phrase, parce que tous les lecteurs ne sont pas des journalistes pressés. Mais il est déjà dans un autre pays. Lorsqu'on s'attache un peu, par exemple à sa description expéditive, tordante et si juste de Crime et châtiment, il nous rappelle à l'ordre : « On peut dire que nous avons été de bons amis pendant quelques jours. » Et on laisse ce Touriste, de Julien Blanc-Gras, paru au Livre de Poche, nous abandonner, partir séduire d'autres lecteurs moins sentimentaux. 


Le livre coûte 6,60 € en Livre de Poche.L'audio est ici. Merci à Sylvain pour l'hébergement. 
Ceux qui aiment la musique 90's auront reconnu Penjabi MC !

TL ; DR : Le livre d'un journaliste baroudeur. C'est léché, joyeux, léger, amusant, complètement superficiel et lassant. Mais ça se lit vite et si on veut juste se changer les idées, pourquoi pas. 

lundi 3 février 2014

Vite lu : La carte et le territoire, de Michel Houelebecq.

Vite Lu :  La carte et le territoire, de Michel Houellebecq, édité par Flammarion.

À l'occasion de sa sortie en poche chez J'ai Lu, je vous propose la petite note de lecture que je m'en étais fait à sa sortie chez Flammarion. 

À noter une excellent critique de Mélanie, d'avis totalement opposé au mien sur Des Poches Sous les Yeux, c'est ici. 


Après une dizaine de pages, je suis allé vérifié : oui, c'est bien la carte et le territoire qui a reçu le Prix Goncourt en 2010. On a beau se dire que c'est un Goncourt de rattrapage, pour faire oublier que l'académie avait laissé passer les particules élémentaires, un prix devrait couronner un livre, pas effacer les offenses qu'il a faites à un auteur.
Rien ne marche, dans la carte et le territoire. Enfin, je ne marche dans rien. Sauf le titre, qui ne serait pas même de Houellebecq. Il laisse présager une réflexion sur la représentation de la réalité, et on espère retrouver les vertigineuses prises de tête de Proust quand il discours sur les noms de pays. Mais non. Le cynisme de Houellebecq prend petit à petit le pas sur son talent, et c'est à pleurer. Parfois, il fait un effort et on se dit : mais si tout le livre avait pu être ça. Lorsque Jed Martin, le personnage principal entend son père parler vraiment, pour la première fois, il prend enfin la dimension d'un personnage entier. Mais on est à plus de la moitié du livre. Avant cela, tous les personnages sont des facettes qu'on devine chez Houellebecq, et le Houellebecq mis en scène par Houellebecq ne nous surprend pas assez pour qu'on marche à la mise en abyme. La partie enquête policière du livre est simplement gâchée. Elle commence comme un petit polar interne au reste du livre, et trouve un dénouement sans intérêt, et le cynisme de Houellebecq vire à la dénonciation niaise des méchants chirurgiens esthétique. C'est à pleurer.

À la sortie du livre, les plus enthousiastes ont acclamé la justesse de l'analyse sociologique. Mais non. Non, le name dropping et la description de quelques installations d'art contemporain ne font pas une analyse sociologique. L'ironie de la description de Jean-Pierre Pernaud ou de Begbeider est insuffisante pour faire oublier que Michel Houellebecq ne fréquente probablement que ce genre de personnes. L'évocation des montants astronomiques auxquels se vendent les rebuts des galeries ne suffit pas non plus à faire une critique sociétale. On n'apprend rien de neuf, on ne ressent rien de fort. C'est de l'usurpation. Houellebecq qui fait semblant de faire du Houellebecq. Est-ce qu'il travaillait plus pour les particules élémentaires ? Est-ce qu'il est seulement usé par la contradiction entre sa critique du système libéral et son exil fiscal, entre son cynisme affiché face à un showbiz dévoyé, et sa propre fascination pour les paillettes et les putes ? Houellebecq m'avait donné envie d'écrire il y a quinze ans, il ne me donne même plus envie de lire.



Note : J'ai lu reçoit mon prix mensuel de la couverture la plus ridicule.

TL ; DR : La carte et le territoire, de Houellebecq, a reçu un Goncourt de rattrapage. Pour moi, rien ne tient, tout tourne à vide. Reste le style, parfois. Mais d'autres ont un avis très différent. 

dimanche 2 février 2014

Supplément à la vie de Barbara Loden, de Nathalie Léger, en Folio Poches

Supplément à la vie de Barbara Loden, est paru chez Folio Poche. Nathalie Léger y raconte la vie de l'actrice et réalisatrice Barbara Loden à partir de son interprétation de Wanda Goronsky inspiré de la terrible déchéance qui conduit Alma Malone devant les tribunaux à la suite d'un fait divers sordide. À la première lecture, j'ai trouvé la mise en abyme appuyée,  poussive. L'intellectualité circulaire du livre m'a mis mal à l'aise jusqu'à l'agacement. Après plus de soixante pages Nathalie Léger résume : «  Une femme contrefait une autre écrite par elle-même à partir d'une autre (ça, on ne l'apprend que plus tard), jouant autre chose qu'un simple rôle, jouant non pas son propre rôle, mais une projection de soi dans une autre, interprétée par soi-même à partir d'une autre. »

J'ai relu mes notes, puis le début du roman, puis la suite et j'ai compris d'où venait ma difficulté à m'approprier le livre. Et ce n'est pas, comme je l'ai d'abord crû parce qu'il est essentiellement féminin. Oui, de l'imbrication des portraits de ses héroïnes semblent ressortir des invariants, des constantes au premier rang desquelles, la violence faite aux femmes, ordinaire, omniprésente, protéiforme. Celle qu'exerce sur Wanda son patron, son mari, son amant, celle qu'elle s'inflige par sa passivité, celle que Barbara Loden subit d'un Elia Kazan lassé d'elle comme d'un chiot qui a trop grandi. 

Et pourtant, comme malgré elle, Nathalie Léger décrit l'amoindrissement de cette domination masculine. Ma seconde lecture du livre a pris l'allure d'un travelling arrière vertigineux. Alma Malone accède au statut de personnage grâce à Wanda Goronsky, qui permet à Barbara Loden de  se faire entendre comme réalisatrice en offrant à Nathalie Léger l'occasion de devenir romancière. Chacune monte un barreau de l'échelle sociale et s'efforce de remercier la précédente en ne la trahissant pas dans l'œuvre qu'elle lui consacre. On pourrait y voir une métaphore des progrès que notre société a pu faire en matière d'égalité des sexes. Et du coup, on aurait voulu, enfin j'aurais voulu que ce livre offre une perspective, un souffle, une direction qu'on peine à y trouver. L'écriture minutieuse, scrupuleuse, à force de refuser l’esbroufe stylistique, manque de chair, à force de refuser le sentimentalisme, manque de souffle... Et l'on finit par réagir comme la mère de la narratrice qui lui demande s'il est si difficile de simplement écrire une histoire. Et ce qui manque pour faire de ce livre une histoire, ce qui m'a vraiment empêché de me l'approprier  c'est qu'il est, d'un bout à l'autre, dépourvu d'humour, de tendresse, de lâcher prise. 

Oui, dans ce livre court, à peine plus de 100 pages, Nathalie Léger parvient à parler, et souvent très bien, de la difficulté d'être mère, épouse, maîtresse, fille, ouvrière, actrice, biographe, romancière, de la difficulté d'être une femme en somme. Mais il me semble qu'il manque à  Nathalie Léger, comme à Barbara Loden, comme sans doute à Alma Malone, cette petite pointe d'humour, ce sourire, pas le sourire de séduction qui est une des clés du malaise, mais ce détachement qui nous permet de nous attacher aux gens, ce sourire qui aurait permis à leurs vies de devenir des histoires, qui aurait fait simplement de Supplément à la vie de Barbara Loden, disponible en Folio Poche, un véritable roman. 


Pour l'audio, en attendant que ça passe sur Des Poches Sous les Yeux, c'est ici. 

Note 1 : Le son est beautifully painfull, de Greetings From Tuscan, qui m'a été rendu disponible par LouisGi que je vous recommande de suivre sur soundcloud, c'est un bon sélecteur. 

Note 2 : Le site de Folio est encore en rade, je me demande si Gallimard ne lui fait pas la peau volontairement vu qu'ils hébergent aussi le catalogue Folio sur leur site.

TL ; DR : Un livre sur une femme qui a fait sur un film sur une femme inspirée d'une autre femme. Il y a de belles choses sur la condition féminine, sur la douleur de naître sans talent. Mais c'est renfermé à force d'être intime, et bobo à force de se vouloir sensible.