Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 28 avril 2014

Swamplandia, de Karen Russel, paru au Livre de Poche

Approchez, Approchez, Swamplandia, de Karen Russel, paru au Livre de Poche, commence comme les spectacles qui s'y déroulent. Des paillettes, du kitsch, de la folie douce, et le danger des alligators qui font trembler les touristes !

Ils viennent du continent  par Ferries entiers pour découvrir le frisson dans ce parc d'attraction des marais de Floride. Le Chef Bigtree s'invente une identité indienne factice et folklorique et  sa femme dompte des alligators à mains nues pour faire vivre toute la famille. 

On s'attend à une comédie taillée pour l'adaptation cinématographique, entre Tim Burton et Wes Anderson. Et puis la mère, la vedette, celle sur les épaules de qui tout repose meurt. Pas d'une morsure de gavial, non, de la morsure lente d'un cancer ordinaire. Sa plus jeune fille, Ava, raconte que ce n'est que le commencement de la fin.

Viennent la concurrence d'un autre parc, l'envahissement du marais par les niaoulis et le lent basculement de sa  grande sœur dans la folie. Les efforts du père et du frère pour sauver leur île restent vains, rien ne va, plus rien n'avance, même le livre s'envase, s'avachit. La végétation aquatique s'enroule et rend la lecture fastidieuse. On se demande où le livre va, on navigue à vue, comme une barque au milieu des palétuviers, et on aurait aimé, enfin j'aurais aimé sentir au moins la direction du courant. La grande sœur amoureuse d'un fantôme c'est de la folie ou du réalisme magique ? Le frère est-il un crétin qui se prend pour un génie ou un génie qu'on prend pour un crétin ? Et le père, où est-il ? Est il à la recherche d'une solution ou est-il perdu sur le continent, encore abasourdi par le deuil ? On  avance comme des chercheurs d'or, aveuglés par l'éclat de trop rares pépites, sans cesse tenté d'abandonner l'aventure, trop brouillonne ou au contraire trop bien construite, comme l'inévitable scène d'atelier d'écriture qui retrace le parcours d'un personnage un peu exogène. 

Entre les pépites, ce qui fait qu'on tient, c'est ce souvenir d'adolescence, quand il fallait des pages, des tonnes de pages, parce qu'elles étaient la garantie que les personnages ne nous abandonneraient pas trop vite, comme on avait enterré trop tôt les grand-parents, perdu trop tôt les amis, les illusions, et même les certitudes.  Des pages pour s'y réfugier, comme entre les touffes de laîches, ces carex coupants qui parsèment le marais, marécage dont on ne sort qu'à la fin de l'adolescence, qu'au début de l'âge adulte, conscient d'avoir lu Balzac ou Dostoievski trop vite, sans avoir tout compris, mais rassuré d'avoir pu y rester longtemps, plus longtemps que dans Camus dont l'Étranger nous avait laissé sonnés comme après une déflagration. 

Et soudain tout s'accélère, l'intrigue pousse de partout, tout le monde sent bien que c'est l'heure, chacun fait face, à son destin, à l'absence, à la fin, qui s'approche au fur et à mesure qu'on tourne les pages de plus en plus vite. Il est déjà tard et on avait dit j'arrête à dix heures, à onze heures, à minuit, mais on tourne les pages. Le livre s'affranchit de ce qu'il avait de foutraque, et ce qu'il avait de foutraque nous fait accepter l'alternance des chapitres : implacable et méthodique ; l'enchevêtrement désordonné du début se change en entrelacement tendu et rigoureux, et le flou se dissipe et les choix se font, et on sort de cette période néfaste, où l'on se prélasse, en attendant que tout se passe. L'auteur apparaît, et son point de vue fend les marais, rien ne l'arrête, et l'on termine Swamplandia, paru au livre de Poche, essoufflé, mais heureux que Karen Russel, après ce marathon de presque cinq cents pages, ait su nous retenir puis nous faire puiser cette force inattendue pour le sprint final. 

Swamplandia, de Karen Russel, paru au Livre de Poche7,60 €.

L'audio est ici, sur un fond sonore de Dj Shadow, le morceau Stem/long Stemextrait de l'album Endtroducing (un bijou).



TL : DR : Une famille foutraque de Floride tient un parc d'attraction dont le thème ets les alligators. La mère, vedette du spectacle, meurt d'un cancer. Le livre décrit la chute et la rédemption de la famille, son retour au monde normal, au continent. Malgré un long ventre mou au milieu, le livre mérite d'être lu si on a le temps. 

mercredi 23 avril 2014

À quelque chose malheur est bon : résultats du concours Be Happy !

Parfois, on a plus de temps qu'on ne voudrait en avoir. C'est rare, en général c'est mauvais signe, mais ça arrive. Mais à quelque chose malheur est bon, car j'ai pris le temps de faire moins bien et de façon plus compliquée ce que Random.org fait très simplement et très bien : tirer au sort. 

J'ai retrouvé le plaisir d'ouvrir R, le logiciel symbole de mon passé scientifique et de taper la formule sample(1:6,2,replace=F). Comme vous l'avez tous compris, cela me sélectionne deux nombres au hasard entre 1 et 6. 

Je sais donc maintenant qui sont les gagnants du concours. Il est injuste que ce ne soit pas le philosophe SR, puisqu'il héberge tous les sons de ce blog. Mais c'est ça qu'est marrant, avec le hasard, c'est que c'est injuste. 


Gloobulus m'enverra donc son adresse postale par mail et recevra le bien choli livre de photos d'Andrea Davoust, Be Happy. Pour l'autre gagnat(e), j'ai déjà l'adresse.


Et puisqu'à quelque chose malheur est bon, et comme je ne vais pas me lancer dans une deuxième carrière de statisticien, le temps qui me reste à ne pas taper des formules dans un logiciel de stats, je le consacre, en plus de la lecture des livres dont vous pouvez lire les chroniques ici, à poursuivre la Recherche du temps perdu. Je suis dans Albertine disparue, après quoi il ne me restera que le Temps retrouvé. Le temps retrouvé ? Ça sent le pipeau, ça, Marcel, le pipeau. 

lundi 21 avril 2014

La demoiselle des Tic-Tac, de Nathalie Hug, paru au Livre de Poche.

La demoiselle des Tic Tac, de Nathalie Hug, paru au Livre de Poche, est un livre de bon élève. 
Dans les deux sens du terme : un livre qui semble avoir été écrit par un élève studieux et un livre qui s'adresse aux bons élèves, ceux qui aiment que le cours soit clair, didactique, simple. 

Il y avait pourtant matière à travailler la noirceur de l'âme humaine dans cette histoire de petite fille prise en tenaille entre l'identité allemande de sa mère, Mutti, et l'identité française de sa grand-mère, chez qui elle vit depuis que son père les a abandonnées. Ce déchirement est celui de toute la Lorraine où se déroule l'histoire, celui de toutes les terres frontalières, dont la moitié de la population terrorise l'autre, alternativement, en fonction de l'armée qui domine temporairement le territoire. 

Le livre est sans défaut. Jusqu'au titre, qui introduit un élément de surprise puisque les tic tac sont en réalité le surnom que l'héroïne donne aux araignées qui peuplent la cave où elle doit se réfugier. Les phrases sont, courtes, simples. C'est une petite fille qui parle, une petite fille qui s'applique à plaire à des adultes fous et méchants. La palette des sentiments couvre les peurs enfantines, l'amitié complice, la haine, la revanche et l'histoire contient juste ce qu'il faut de côté obscur domestiqué, de secrets de famille, de péchés originels capables d'expliquer le pourquoi du comment certains personnages ont pu devenir  si méchants. 

De quoi se plaint-on alors ? De ce qu'on ne ressent rien. Le livre ressemble à un gâteau industriel, bien plus réussi que celui qu'on fait à la maison, qui n'est jamais  symétrique, parce que le four est trop petit pour le moule. On doit alors l'incliner lors de la cuisson, le moule, pas le four. Ici, rien n'est incliné. Tout est droit. La structure d'alternance des chapitres est métronomique. Mais comme une bonne élève qui s'en rend compte, Nathalie Hug y déroge vers la fin du roman. Et c'est encore un effort de perfectionnement, une cerise sur le gâteau, un arôme un peu artificiel, un glaçage parfait. Mais la vraie cuisine, c'est de l'amour, et l'amour est imparfait, incliné, comme la littérature. 

La demoiselle des Tic Tac est un livre inoffensif. Malgré une volonté de bouleverser nos certitudes sur ce qui a pu pousser des allemandes à révérer Hitler*, on ne sort pas grandi de ce livre, on n'en sort pas diminué : on en sort inchangé, comme lorsqu'on regarde aujourd'hui un film qui nous aurait fait trembler enfant. Lorsqu'on revoit la guerre des étoiles et les scènes qui nous avaient laissé une si grande impression, on sourit avec nostalgie devant les effets spéciaux appliqués, les enjeux manichéens, le jeu scolaire des acteurs. Peut-être alors qu'un élève doué, mais âgé de 10 ou 11 ans trouverait de quoi mieux comprendre l'âme humaine à la lecture de cette demoiselle des tic-tac. Mais pour nous, qui avons eu à faire à la méchanceté, à la laideur, chaque jour, à l'absurdité des certitudes idéologiques, à la déception systématique des espoirs qu'elles nous ont provoqués à 15 ans, à 20 ans, ou aux dernières élections, il n'y a dans ce livre qu'un artisanat de qualité, contre lequel on ne peut soulever aucune objection majeure. Mais on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, y trouver ce qui fait la trame de littérature, de la vie, de l'amour : la prise de risque. L'écriture doit être une mise en danger. Nathalie Hug ne prend aucun risque. Malgré la forte part biographique, pas de risque intime. Plus grave encore, Nathalie Hug ne prend aucun risque avec le style, le point de vue, la narration. La demoiselle des Tic Tac, paru au Livre de Poche, est, hélas, un livre dont on  ressort parfaitement indemne. 


La demoiselle des Tic-Tac, de Nathlie Hug, Le Livre de Poche, 6,10 €

L'audio peut être écouté ici, avec en fond sonore Jésus que ma joie demeure de Bach, en transcription pour piano jouée par Weissenberg (et le thème de Dark Vador sur 2 mesures).

TL ; DR : Pendant la deuxième guerre mondiale, une petite fille tiraillée entre son identité allemande et son identité française, comme la Lorraine où se déroule l'histoire. Un livre sans défaut, sans grande qualité, sage, trop sage.






*Les plus férus de figures de style auront remarqué que la phrase frise l'anacoluthe. En effet, le malgré une volonté de se rapporte au livre, voire à l'auteur, mais pas au sujet de la phrase qui suit immédiatement, le on de on ne sort pas grandi. L'anacoluthe n'y est pas vraiment car la rupture n'apporte pas de puissance supplémentaire, bref, beaucoup de rationnalité instrumentale pour expliquer que c'est juste une phrase bancale...

mardi 15 avril 2014

Vanité des vanités... et merci !

Depuis quelques temps, on tournait autour, mais là, depuis plusieurs chroniques, ça se confirme. Ce que j'ai pensé de est à plus de 500 vues par mois ! 


Parallèlement, le président de Radio Béton a félicité l'équipe des chroniques de Des Poches Sous les Yeux, et a cité la chronique de Certaines n'avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka.



L'occasion de remettre les liens vers une ou deux chroniques telles qu'elles ont été diffusées sur Radio Béton. 




À tombeau ouvert, de William Styron, chez Folio (il parait que celle-ci a eu près de 500 écoutes)

C'est vrai, ça fait 4, mais je crois qu'ils en ont diffusé 16, ça fait juste un quart. Comme ça, vous voyez l'habillage sonore de la rubrique et vous découvrez le site sur lequel pleins d'autres chroniqueurs vous conseillent des livres. Un bon plan pour choisir des cadeaux de livre. 

Bien-sûr, 500 vues mensuelles, dans la blogosphère, c'est peu, c'est petit, c'est lilliputien. Mais ça me fait plaisir de penser que je connais probablement la plupart d'entre vous. 

Alors pour vous remercier, j'offre un exemplaire du très joli livre Be Happy, d'Andrea Davoust. 

Normalement, pour les concours, pour éviter les contestations, recours, procès au tribunal administratif on s'en remet au hasard. Ou pire, on offre le livre à celui qui aura rapporté le plus de like sur Facebook, ou le plus de liens pour ramener des followers qui vont tweeter qu'il faut googleplusser... C'est pas mon trip. 

Je vous propose donc juste de me dire en quelques mots pourquoi vous lisez et pourquoi vous lisez le blog, et ensuite... je choisirai quand-même au hasard. Mais juste parce qu'il fut un temps où j'aimais les probabilités. 




lundi 14 avril 2014

Yellow Birds, de Kevin Powers, au Livre de Poche

Dans le cadre du Prix des lecteurs du Livre de Poche, voici ma chronique du premier des trois livres du mois d'avril.

De la distance. C'est de la distance qu'on ressent quand Kevin Powers nous parle de la guerre. La deuxième guerre d'Irak qu'il décrit dans son premier roman, Yellow Birds, paru au Livre de Poche. 

Pourtant, on les connaît déjà, ces couleurs brûlées de soleil, ces sables piégés, ce silence pendant les patrouilles. Ce silence d'avant la détonation d'un cadavre rempli d'explosif, ce silence d'avant l'assaut. Les uniformes changent, les mauvaises causes changent, mais de l'Algérie à l'Irak, on connaît ces vieux dirigeants politiques, ces vieux généraux qui envoient des enfants de vingt ans se faire tuer loin de chez eux. À distance. Loin de ceux qui, à leur retour, les accueilleront en héros. Et à qui ils ne diront rien, ne pourront plus rien dire.

Dans le bus, la tête contre le rebord de la fenêtre, les doigts se crispent sur le canon du fusil. Il n'y a plus de fusil, on l'a laissé là-bas, avec le reste, avec le souvenir des autres enfants qui ne sont pas revenus. Mais aucun enfant n'est revenu.Ni les morts, dont Bartle et Murph, deux jeunes soldats d'à peine vingt ans, comptent le nombre, ni les vivants, qui laissent là-bas une part d'humanité que la vie civile ne reconstruira jamais.

« La pluie cessa. Le temps s'adoucit. Notre dernière patrouille de quarante-huit heures s'était déroulée sans événement particulier. Même notre propre sauvagerie ne nous était plus accessible : les passages à tabac, les coups de pied décrochés aux chiens, les fouilles, la pure brutalité de notre présence. Chacun de nos actes était une page d'un manuel d'instruction que l'on suivait par cœur. Je n'en avais rien à faire. »

L'être tout entier est tendu vers ne pas mourir. Bartle et Murph comptent. Ne pas être le millième cadavre. On doit au moins être à 980, là ! Ils comptent comme on récite un mantra pour éloigner la mort. Mais éloigner la mort, à la guerre, c'est éloigner l'humanité, et avant tout, la sienne.

«  J'avais pensé la même chose, à quel point j'étais content de ne pas m'être fait descendre, à quel point ça avait dû faire mal d'être là, en train de mourir, et de nous regarder tous en train de le regarder mourir. Et moi aussi, même si maintenant ça me rend triste, je m'étais dit, Dieu merci, il est mort, et pas moi. Merci à toi mon Dieu. »

Kevin Powers décrit la violence avec sobriété, la chaleur de l'Irak avec une réserve froide, la pluie glaçante de l'hiver oriental avec la sécheresse d'un observateur détaché. À distance. La distance d'un jeune homme sensible brûlé de l'intérieur parce qu'il s'était engagé pour devenir un homme, pour que les autres cessent de le traiter de pédé dans les couloirs du lycée parce qu'il aimait lire des livres. Et de la poésie, parfois. Et qui se déteste de mentir à la mère de Murph, d'avoir peur,  et de s'accrocher à la vie.

On aurait aimé, enfin j'aurais aimé, qu'à cette distance magnifique ne s'ajoute pas la distance d'une traduction, disons discutable, à tel point que je me suis procuré la version originale, que je conseille à ceux qui trouveront alors que de pouvoir lire en anglais est une chance incommensurable.

Enfin, on aurait aimé, j'aurais aimé, j'aimerais tellement qu'une civilisation capable de donner naissance à un auteur aussi sensible que Kevin Powers rende inutile l'écriture de  son livre, Yellow Birds, paru au Livre de Poche, en maintenant la guerre, la barbarie, la croyance imbécile que les armes sont une solutions aux problèmes de notre espèce, en maintenant tout ça définitivement, à distance.

Cette chronique, que je proposerai à la merveilleuse équipe des Poches sous les yeux, est en attendant disponible ici, grâce à sa majesté SR.

Yellow Birds, de Kevin Powers, paru au Livre de Poche, 6.60 €.

TL ; DR : Il y a des livres courts difficiles à résumer : une plongée dans l'absurdité de la guerre d'Irak. Plus l'auteur met de la distance dans son style, plus on est plongé dans le stress post-traumatique. Malgré une traduction discutable, j'ai pleuré.

vendredi 11 avril 2014

Un peu de franchise... mais pas trop ! (ou comment le forum du livre est sorti de Chapitre)

Le livre est un bon reflet de la société : toujours en crise. On a beaucoup parlé de la fermeture de Virgin et moins de la disparition de la franchise Chapitre. Peut-être parce que le Forum du livre, qui en était adhérent, a su en sortir par le haut, en ouvrant un nouvel espace au centre commercial de la visitation. Anne Sophie Basset, libraire depuis vingt ans au Forum du livre m'accordé une interview dans un café de la rue St Melaine, et nous raconte de l'intérieur comment on entre dans une franchise, comment on y étouffe, comment on en sort : comme d'une apnée involontaire, longue et pénible, suivie d'une respiration. Elle raconte comment on reconquiert la liberté éditoriale, donc des clients, c'est à dire, des lecteurs.

C'est en forgeant qu'on devient forgeron et c'est en faisant des interviews qu'on apprend à en faire. Celle-ci est pleine des bruits d'un café rennais, mais surtout pleine de l'énergie et de la gentillesse d'Anne-Sophie Basset, qui redonne de l'espoir quant à l'avenir du livre papier. On verra si Juliana, à qui je l'ai proposée, a envie de la passer dans la culturelle hebdomadaire de Canal B, l'Ardoise.

Pour télécharger l'interview (8 minutes, ça s'écoute sur un téléphone, sur le trajet du boulot) faites un clic droit ici et choisissez "enregistrer le lien". Merci à SR qui héberge mes sons gracieusement.

mercredi 9 avril 2014

Un petit homme de Dos de Gerard Morgiève


Ce que j'ai pensé d'Un petit homme de dos, de Gerard Morgiève, aux éditions JoëlleLosfeld.

La première rencontre avec une personne peut parasiter toute la relation qu'on aura avec cette personne. La première phrase du livre de Morgiève indique que le héros venait de liverpool via Brême et Varsovie. Ce qui me paraissait un trajet impossible, il me semblait qu'il devait venir de Varsovie via Brême et Liverpool. Et c'est ce que semble laisser penser la suite de l'histoire. Cette première phrase m'a gêné pendant les dix ou vingts premières pages.
Le livre m'a ensuite laissé une impression mitigée. C'est un hymne à la gloire d'un père trafiquant au marché noir, semi bandit, fidèle de cœur plus que de couche, attachant et violent. La bande qui gravite autour de ce polonais dégage une impression de racaille symathique. Et l'écriture évolue entre le début qui raconte la légende d'avant la naissance du narrateur, à la fin où le point de vue évolue au fur et à mesure qu'il grandit et voit son père tomber.
Le livre est en fait plutôt réussi, il me semble, et je dis il me semble car je ne comprends pas tout à fait bien les objectifs de ce genre de littérature. Ecrit à la première personne, le récit est pourtant bien un roman. J'ai en général une vraie aversion pour ce genre, où il me semble que la première personne n'a que pour objectif de prendre en otage la sensibilité du lecteur. Mais la sincérité de l'écriture laisse penser qu'il s'agit bien d'une façon de romancer sa vie plus que de personnaliser une fiction. Renseignement pris, il s'agit bien d'une biographie romancée de la vie de son père, et ça me rassure, je me serais senti floué.
Du point de vue stylistique, Morgiève a une absence de complexe qui frise parfois la facilité, mais qui apporte aussi des choses très fluides, très agréable. J'admire sa gestion du discours indirect, de la façon de changer de point de vue, de passer d'un interlocuteur à un autre tout en conservant un narrateur unique.
Un livre, que j'aurais aimé plus sans cette maudite première phrase.

TL ; DR : Portrait d'un père trouble, marché noir, morale facultative. 

lundi 7 avril 2014

Galveston de Nic Pizzolatto, chez 10-18

Je suis reconnaissant à Nic Pizzolatto car son livre Galveston, paru chez 10-18 m'a permis de répondre à une question qui devrait angoisser tous les critiques littéraires, celle de la première impression. Quand on lit plus d'un livre par semaine, on finit par n'avoir besoin que de trois ou quatre pages, pour savoir si un ouvrage nous plaira ou non.

Mais la bonne foi oblige à se demander si la raison pour laquelle cette première impression est presque toujours confirmée n'est pas simplement que nous sommes incapables de nous dédire. Juste incapables d'avouer « ah, tiens, en fait, je m'étais trompé, c'est pas si nul », ou, plus dur encore, « Oh, c'est dommage, j'aimais bien, mais là, en fait, si c'est ça, moi... j'arrête. » 

C'est la théorie de l'engagement. 

Pour Galveston, l'a priori négatif était fort à cause d'un bandeau bien marketing qui indiquait que 10-18 s'engageait à rembourser le lecteur insatisfait. Mais qui prend la peine de renvoyer un bouquin ? Qui conserve les tickets de caisse de sa librairie ? Enfin j'ouvre le livre, on va voir ce qu'on va voir, et je ne suis pas déçu. Ou plus exactement, je suis déçu et je suis bien content de l'être. 

Roy Cady, quadra amoché, petite main de la truanderie texane sur le point de crever d'un cancer du poumon, se jette dans un piège qu'on voit venir 25 pages à l'avance. Baston, fusillade, cascades et road-movie avec une jeune pute au grand cœur, le tout dans la langue dont je suppose que les gangsters l'utilisent vraiment puisque les auteurs la reproduisent inlassablement jusqu'à saturation, à tel point qu'elle finit par déteindre et que je m'entends dire :  

« 10-18, prépare la thune, qui paie ses dette s'enrichit »

Je poursuis la lecture, à cause de l'entêtement idiot qui me pousse à finir les livres que j'ai commencés, fidèle à la théorie de l'engagement qui laisserait donc entrevoir que si ma première impression est la bonne, c'est tout simplement que, comme tous les imbéciles, je suis incapable de changer d'avis. Seulement voilà, Nic Pizzolatto est un écrivain intelligent qui m'empêche de rester un imbécile. J'ouvre les yeux, je les écarquille même, et je me demande - encore à voix haute, à force d'enregistrer des chroniques je me mets à parler tout seul- 

« est-ce qu'on peut vraiment se mettre à aimer un bouquin à partir de la page 86 ? ». 

Pas de révolution pourtant, Galveston reste un livre de genre, un roman noir américain, avec flingues, rednecks du dirty south, rémission déchirante, Texas, Louisiane, et on aurait aimé, enfin j'aurais aimé, un petit peu plus de surprises quant au destin de certains personnages sacrificiels. 

 Mais c'est comme si vous dégustiez le suprême au chocolat de ma mère. Bien-sûr, vous avez déjà mangé toutes sortes de mousses au chocolat, et vous vous êtes fait un avis sur la mousse au chocolat, «  Nan, moi je l'aime quand elle est bien ferme », ou encore  « si c'est pas assez noir, si y a pas d'amertume, non, ça ne me parle pas. Tu vois, j'ai un rapport assez intime avec la mousse au chocolat en fait ». Mais quand vous goûtez le suprême au chocolat de ma mère, vous la fermez et vous tendez votre assiette pour qu'on vous la remplisse à nouveau.

Je n'ajouterai donc rien de plus sur Galveston, paru chez 10-18, mais je tends mon assiette à Nic Pizzolatto pour qu'il fasse à nouveau mentir mes premières impressions, sur le roman noir, sur le roman, sur la littérature.



Galveston, de Nic Pizzolatto, chez 10-18, au prix de 8,10 €
La chronique audio est ici, avec en fond sonore well you needn't de Thelonius Monk. 


TL ; DR : Un roman noir dont le début prévisible ne laisse pas soupçonner l'attachement qu'on ressent par la suite. Idéal pour se changer les idées. 

mercredi 2 avril 2014

Prix des lecteurs du Livre de Poche : résultats février et mars.

Je me sens un peu comme une erreur de casting. Chaque mois, les membres du jury du prix des lecteurs du Livre de Poche doivent choisir et voter pour le livre qu'ils ont préféré parmi les 3 qu'ils ont reçu. 

En février, déjà, j'avais voté pour le Diable tout le temps, de Donald Ray Pollock (cf la chronique ici), persuadé de faire un choix de mouton tellement sa victoire me semblait prévisible. 
Mais le livre qui avait reçu le plus de vote avait été L'unité, de Nini Holmqvist, que j'avais trouvé fade et linéaire (comme je le disais ici). 

En mars, j'avais choisi sans hésitation Canal Mussolini, d'Antonio Pennacchi, dont j'avais dit ici combien il m'avait dérangé, bouleversé, et dont le style m'avait pourtant enchanté. 
Mais l'heureux élu est Le problème Spinoza, d'Irvin Yalom, dont j'avais dit dans cette chronique tout le mal que j'en pensais. Un livre à la limite de la malhonnêteté. 

Je me sens donc un peu comme une erreur de casting dans ce jury pour moi imprévisible. Dommage qu'on n'ait pas de forum pour partager entre membres du jury, on verrait mieux ce qui a plu ou non, et pourquoi. 


Enfin, ne boudons pas notre plaisir, le colis d'avril est arrivé, et je ne me blase pas de ces cartons frappés du sceau du Prix des lecteurs du Livre de Poche. 
Il contenait : 

La demoiselle des Tic-Tac de Nathalie Hug
Swamplandia de Karen Russell
et Yellow Birds de Kevin Powers, par lequel j'ai commencé, et qui a de fortes chances de ne pas être choisi puisque pour l'instant, j'aime vraiment bien ça.