Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

mardi 3 mars 2015

Les Foudroyés, de Paul Harding

10-18 publie Les foudroyés, de Paul Harding.

Georges va mourir. Ce sont ses huit derniers jours. Devant ses yeux, déjà, des hallucinations. Mais encore des souvenirs. Pas toujours dans le bon ordre. Est-ce qu'il y a un bon ordre pour les souvenirs ? Ils se déplacent, comme les dalles d'un jeu de taquin : un seul emplacement de libre, tout bouge, et à la fin l'image se dessine. Mais la fin, c'est dans 196 heures. Georges soude un tuyau, la foudre s'abat sur lui. Georges se relève. Il finit sa soudure. Il ne la craint pas cette foudre là, celle de l'extérieur. Georges craignait son père. Peut-on craindre un poète ? Ton père n'est pas un foutu poète. Kathleen n'en peut plus de la foudre. Celle qui ravage le cerveau d'Howard, le père de Georges. Charlie, c'est toi qui es à côté de moi ? Georges ne voit plus son petit fils, il voit encore son père. Foudroyé, par la pire des foudres, celle qui vient de l'intérieur. Des heures avant l'épilepsie, Howard voit tout. Comme si toutes les écoutilles s'ouvraient, et que le monde s'engouffrait. Tout. Trop. C'est Paul Harding qui écrit ce que voit Howard, mais on ne croit plus à l'auteur, à son existence. On ne croit plus, on regarde, on écoute, on ressent ce que ressent Howard. Il est sur une carriole. Remplie de babioles, c'était au siècle d'avant le siècle d'avant. Ou juste après ? Du savon, des brosses, rien qui permette à Kathleen de croire qu'on en sortira un jour. En sortir de tout compter, y compris les jours, jusqu'au prochain accès de foudre. Georges compte. Soixantes-douze heures et pourtant la vie est partout. Paul Harding la prélève. Georges enfant, et son père, qui le regarde. Georges ne le sait pas. Est ce qu'on sait jamais vraiment combien un père nous aime ? Les souvenirs s'ordonnent. Chro-no-lo-gi-que-ment. Georges répare des horloges. Pas de caricature. Georges répare des horloges, parce que les gens sont prêts à payer cher. Pour prolonger la vie de celles qui mesurent la durée de la nôtre. Trop cher. Georges est un peu filou. C'est bien. C'est mieux que la métaphore, lourde. Mieux que les incises de manuel d'horlogerie. Un peu d'ennui. Comme les horloges, tout ne marche pas dans les foudroyés. On aurait aimé, enfin, on, ce serait moi, moi, moi, j'aurais aimé parfois, moins d'effet, parfois la poésie ne marche pas, mais souvent si, souvent la vie, là, cette Amérique de fils de colporteurs fils de pasteurs, des indiens, des indiens d'avant les réserves, les souvenirs viennent de loin. Transmis comment ? On n'en sait rien, je ne sais pas. Le « je » passe de Georges à Howard, puis du père au fils, au tu, au il, le jeu, le fil. Combien d'heure, maintenant pour Georges, combien de pages reste-t-il ? Un peu de réalisme magique, on aurait pu, j'aurai pu m'en passer. La déchéance de Georges, le corps, puis l'esprit, le corps se raidit, mais l'esprit, lui, se dissout, se dissipe. Comme le père d'Howard. C'était avant la première crise d'épilepsie. Et c'est la poésie, oui, qui, clarté, cristal, bruit de la pluie annonce la crise d'épilepsie. On ne peut pas tout en dire et c'est déjà fini. Je le referme. 
Je l'ouvre. 
Je le relis. 

Georges va mourir. 196 heures. Dès le début tout est dit, mais la narration morcelée permet de revenir en arrière comme si on n'avait jamais su,. Je relis. Une lignée d'hommes, arc-boutés sur la difficulté de ne pas tuer cet enfant, en nous, que la dureté de la vie muselle si on la laisse faire, ce petit enfant qui, sans qu'il sache qu'un regard est posé sur lui, offre une sépulture aux souris. La civilisation, c'est la sépulture et la poésie. Paul Harding est l'enfant qui essaie, qui n'arrive pas toujours, pourtant on l'applaudit, parce que ce qui mérite d'être réussi ne l'est  jamais du premier coup. Sauver l'enfant devenu vieux, sauver Georges, comme Georges a sauvé Howard. 10 centimètres sur 18 dans lesquels tiennent les Foudroyés, c'est ce paradoxe que Paul Harding nous rappelle : l'enfant sur lequel on veille nous sauve. L'enfant qu'on a en soi, celui à qui on a donné la vie, ou pas, c'est l'enfance qui nous foudroie. 

La version audio est ici, avec un grand merci à Mike Koenig dont le sont de foudre est libre de droit. C'est l'audio qui m'a fait prendre un jour de retard, pardon aux non-robots qui attendaient une chronique hier ! Saute le temps, il me faut du TEMPS.

2 commentaires:

  1. Ça valait le coup d'attendre!
    SR

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  2. Je suis content que ça t'ait plu. J'avais peur que l'audio soit un peu too much avec les effets de gauche droite. Et j'y ai passé bieeeeen trop de temps.

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