Ce que j'ai pensé de

Ce que j'ai pensé de
Des bouquins, et pas de place pour les ranger

lundi 8 juin 2015

Verlaine avant-centre, de Jean-Louis Crimon

Lorsque j'ai commencéVerlaine avant-centre, de Jean-Louis Crimon, disponible au Castor Astral, je savais que c'était un peu cruel de ma part. Un auteur a toujours envie qu'on lui parle de son dernier né, et pas du roman qu'il a écrit il y a dix ans (20 ans en l'occurence pour celui-ci). Mais voilà, lorsque je l'ai rencontré au salon Étonnants voyageurs, j'ai lu la première phrase de Verlaine avant centre, et je n'ai plus eu envie de le quitter.

« Aujourd'hui encore je me demande si ce qui me rend le plus malheureux, c'est de ne pas savoir qui de nous trois a eu le premier l'idée d'inventer la vache bleue, ou bien si c'est d'avoir seul pressenti que l'été de la vache bleue ne reviendrait plus jamais. »

S'il y a une chose difficile en littérature, c'est de faire parler les enfants. On leur prête souvent des langages trop simples, ou trop fantaisistes, et on passe à côté de leur logique implacable, pas encore usée dans les angles par l'érosion de la politesse, de la convention, par les implicites que l'habitude finit par installer.

Immédiatement, on a envie de prendre dans les bras ce petit narrateur à qui Crimon prête une voix si juste. Plutôt, on a envie de le rejoindre dans cet âge où l'amour circule encore, et avant tout l'amour entre le père et le fils. Chaque jour, ils rejouent un des buts marqués par leur héros lors de la dernière coupe du monde. Le petit garçon prend le rôle de Just Fontaine, le mythique buteur du stade de Reims. Le père et les arbres du vergers seront tous les autres joueurs. Ce père qui multiplie les heures pour faire bouillir la marmite, puise sa fierté dans les victoires de son club, de son joueur, plaisir de prolo que Crimon nous montre sans populisme ni condescendance, comme un souvenir d'une enfance où les choses, et les gens, étaient durs mais simples.

Enfin, pas si simple, les rapports avec les gamins de l'école. On se moque de son œil qui louche, mais surtout, on se déchaîne sur celui qui hésite entre devenir footballeur et devenir écrivain. Il suffit que son professeur le félicite pour une phrase, une simple phrase, pour que la haine des paysans taiseux se déploie. La méchanceté s'acharne toujours sur ceux qui sortent un peu du cadre.

Bien-sûr, on aurait aimé, enfin, j'aurais aimé, que Crimon sorte de son propre cadre car la description des buts qui clôture chaque chapitre finit par être un peu répétitive, du moins pour qui n'a pas vécu la coupe du monde de foot de l'année 1958. Et pourtant. Cette scène 13 fois recommencée où les arbres prennent la place des attaquants adverses, la minutie avec laquelle le père et le fils se préparent, c'est un langage d'amour silencieux. Les mots, eux, sont réservés à sa mère, qui aimerait les coucher sur le papier mais que la vie cloue à sa lessiveuse, sa cuisine, à la pauvreté du ménage, ou à sa tante, qui aurait croisé Verlaine dans un café parisien et qui garde précieusement un exemplaire de Jadis et Naguère. Verlaine avant centre a les maladresses de son narrateur et c'est ce qui en fait non pas un produit, mais un livre. De ceux qui nous rappellent que le temps, en fait, n'atteint jamais vraiment l'enfant qui survit en nous, séquestré, ligoté, bâillonné, cet enfant qui voulait être, comme Jean-Louis Crimon, Verlaine avant centre, disponible au Castor Astral.


L'audio disponible ici, cache un petit clin d'œil au dernier paragraphe, issu d'un truc de Weber, Der Freischütz Overture. 


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